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TABARIN.

Enfant du grand chemin, comédien vagabond,
Sans rien, religion, famille, ni patrie,
Rien de ce que l’on aime avec idolâtrie,
De ce qui vous sourit, vous garde et vous soutient,
Incertain si je suis hérétique ou chrétien,
De Naples ou d’ici, vilain ou gentilhomme,
N’ayant pas même à moi le nom dont je me nomme,
J’aime en toi seule, j’aime, en plus que ta beauté,
Tous les biens dont le ciel m’avait déshérité !..
Oui, perfide ! En dépit de tes scélératesses,
Mon cœur n’a fait qu’un lot de toutes les tendresses
Qui morcellent le cœur des autres, et c’est toi
Ma famille, mon nom, ma patrie et ma foi !

FRANCISQUINE.

Tout cela ?… Vive Dieu ! me voilà bien lotie !
Que vous m’aimiez, soit ! qui bien aime, bien châtie !
Sur cet article-là point de discussion !
Mais suis-je vraiment seule en votre affection ?
Votre âme est-elle à cet excès sentimentale ?
Et ne me sais-je pas une heureuse rivale ?

TABARIN.

Une rivale ?

FRANCISQUINE.

Une rivale ?Eh ! mais… la bouteille !…

TABARIN.

Une rivale ? Eh ! mais… la bouteille !…Tout doux !
Distinguons !…

FRANCISQUINE.

Point ! monsieur sourit à ses glouglous,
Lui prodigue des noms qu’on garde à sa maîtresse,
La couve de regards luxurieux, la presse
Sur son cœur, et s’enivre au feu de ses baisers !
Est-ce vrai ?… Puis, le front et le cœur embrasés,
Et le cerveau peuplé de chimères stupides,
Quand on n’a point dormi sur les bouteilles vides,
Trébuchant et branlant, on rentre en son taudis !