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Et voilà tout !… — Après le quatrième, moi !
Mon tour viendra : du sanctuaire
Hardiment franchissant le seuil,
Je m’asseyrai dans son fauteuil,
Pour lui débiter mon affaire :
Monsieur !…
— Car il est temps d’ouvrir ce cœur meurtri !
Nul ne me connaissant ici, que j’imagine,
Je veux vous dire — à vous — le coup qui m’assassine
Et de quelle amère farine
Le pain que je mange est pétri !
J’étais heureux ! j’avais vingt-sept printemps tout juste —
Un physique… agréable — une santé robuste —
Une inaltérable gaîté,
Et pas mal de foin dans mes bottes,
Pour faire souper des cocottes
— Qui m’ont joliment regretté !
… Un jour fatal !… un jour d’été,
Le macadam brûlait sous les pieds, et l’asphalte
Fondait sur le coup de midi,
J’avise contre un mur une affiche — et fais halte
Devant son prospectus maudit !..
« Le Tréport ! — Bains de mer ! — Casino !
— brise fraîche —
« Plage superbe — air vif ! — hôtels à tous les prix !
« Excursions ! bateaux de pêche !… »
Tout ce luxe de puffs où les niais sont pris !
— Et cet Eden qui m’allèche
À cinq heures de Paris !..
Le soir même, j’étais à la gare du Havre,
Pressé de partir !.. Insensé !..
Hélas !.. après un mois passé,
Des amis, du Tréport, ramenaient mon cadavre :
J’étais bel et bien… fiancé !
Et voilà cependant comme un malheur arrive !
En flânant, j’avais laissé
Tomber mon cœur sur la rive :
Un ange est venu, qui l’a ramassé !