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— Eh bien, vieux ! lui dit-il, était-elle bonne, ta vieille ? Car c’est elle que tu viens de manger !… Elle m’a détaché, la sotte ! Alors, je l’ai tuée, puis coupée en morceaux, puis je l’ai fait cuire à ma place, et tu l’as avalée ! Ah ! ah ! ah !…

Et, avant que Gombéiji ait pu revenir de sa surprise, le blaireau fit un bond vers la porte et s’enfuit de toute la vitesse de ses jambes.

Le malheureux vieillard resta longtemps, bien longtemps, sans pouvoir se remettre. De désespoir, il se serait volontiers arraché les cheveux, s’il en avait eu encore.

— Pauvre Tora ! ne cessait-il de répéter en pleurant ! C’est ta bonté qui t’a perdue !… Et moi, qui t’ai mangée !… Comment supporter le poids d’une pareille honte ?… Puis-je survivre à un tel malheur ! … Non, il ne me reste plus qu’à mourir, comme meurent les samuraï…

Chacun sait que les samuraï, pour sauver leur honneur, ne croyaient pouvoir mieux faire que de s’ouvrir le ventre. C’est donc à ce dernier parti que le malheureux vieillard se détermina.

Il aperçoit à ses pieds le couteau de cuisine, ce même coutelas, dont le blaireau s’est servi pour couper en morceaux l’infortunée Tora. Il le saisit d’une main tremblante. Puis, tombant à genoux, il prononce la suprême prière, la formule sacrée que prononcent les héros qui se donnent la mort : « Namu Amida butsu ». Alors, rejetant son habit en arrière, il s’enfonce le couteau dans le ventre, et