Page:Feron - Le manchot de Frontenac, 1926.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la cathédrale accompagné de Sainte-Hélène et de M. de Villebon.

Le jeune homme s’effaça et voulut s’éloigner rapidement. Frontenac l’arrêta.

— Où vas-tu, Cassoulet ?

— Excellence… bredouilla Cassoulet en s’arrêtant et en rougissant.

Il ajouta après quelques secondes d’hésitation :

— Là, Excellence, où vous me direz d’aller.

Frontenac de son regard perçant saisit chez le jeune homme un trouble inaccoutumé dont il était loin de s’imaginer la cause. Car ce trouble du jeune homme, c’était le souvenir tout vivace et l’image toute resplendissante de la petite madone qui lui était apparue, alors que le gros suisse s’apprêtait à lui faire un mauvais parti. La vue de cette jeune fille avait tellement bouleversé l’esprit de Cassoulet, que celui-ci en était tout chaviré. Il n’avait pu écarter la ravissante image de sa pensée, et maintenant il était dévoré par le désir de la revoir.

— Ah ! s’était-il dit en quittant la place de la cathédrale, Maître Turcot a une fille !… Qui l’aurait dit !… Et une enfant encore… jolie comme un ange, si je me rappelle bien ! Quoi ! il est donc marié, cet animal-là ? Mais qu’a-t-il fait de sa femme ? L’a-t-il mangé ?… Il faut que je le sache ! Je veux revoir cette belle enfant, car je dois la remercier pour avoir intercédé en ma faveur. Il est vrai que son intercession était bien inutile ; car, si je ne me trompe, j’allais justement envoyer Maître Turcot s’allonger de la belle façon. Oui, je veux revoir… Hermine ! Hermine ?… Oui, oui, c’est ainsi que l’a nommé Maître Turcot. Ah ! la belle Hermine !… La jolie Hermine !… La brave petite Hermine !… Oh ! je sais où loge le maudit suisse, derrière la cathédrale. J’ai vu sa bicoque une fois en passant par là. Oui, c’est là que je trouverai la divine Hermine…

Effectivement Cassoulet allait, en sortant du fort, courir au logis du suisse, quand M. de Frontenac l’interpella.

Le trouble du jeune homme fut donc causé par la pensée qu’il ne pourrait peut-être pas aller immédiatement rendre visite à la belle et gracieuse jeune fille.

— Il faut, dit le gouverneur, que tu montes à cheval et que tu galopes jusqu’à Beauport pour prévenir le capitaine Juchereau et lui ordonner de se mettre à la tête de ses miliciens pour venir se retrancher sur la rivière Saint-Charles, où Monsieur de Sainte-Hélène et Monsieur de Villebon se rendront bientôt pour diriger les opérations. Va !

— Bien, Excellence, je cours.

— S’il était trop tard et que Messieurs les Anglais se trouvassent sur ton chemin, passe au travers !

— Je passerai au travers, Excellence, assura Cassoulet sur un ton convaincu.

Il rentra dans le fort. Avant que MM. de Sainte-Hélène et de Villebon ne fussent partis avec un bataillon de réguliers pour la rivière Saint-Charles, Cassoulet sortait du fort, monté sur un fougueux coursier, et à toute vitesse traversait la ville, gagnait le pont de la rivière et fendait l’espace vers Beauport dont il apercevait les lumières dans l’éloignement.

La nuit venait si vite que le lieutenant des gardes ne voyait plus le chemin. Il n’avait pour le guider que des bosquets dont les taches sombres se dessinaient par ci par là. Il franchissait des fourrés, des marais à une allure extraordinaire. Tout à coup il fut assailli par une vive mousqueterie, mille éclairs déchirèrent l’obscurité en même temps qu’une grêle de balles crépitait de toutes parts, hachant les feuillages, sifflant à ses oreilles.

Sa monture fit un écart terrible qui faillit le désarçonner. Cassoulet se cramponna criant :

— En avant, Diane !

Il laboura les flancs de sa jument. La bête renâcla de douleur et fonça comme avec rage dans les rangs d’un régiment de soldats anglais. Une autre décharge non moins terrible que la première fit trembler l’espace, mille autres éclairs aveuglèrent cavalier et monture… Mais Cassoulet passa au travers, comme il avait promis à M. de Frontenac, il passa sans recevoir une égratignure, sans que sa jument Diane fût le moindrement blessée. La bête paraissait avoir des ailes, elle coupait l’espace avec la rapidité de l’éclair. Cassoulet arriva bientôt à Beauport et mit tout le village en branle par la nouvelle que les Anglais marchaient sur la ville.

Le capitaine Juchereau fit sonner le tocsin, rassembla hâtivement ses miliciens et à la tête de deux cents hommes s’élança avec Cassoulet pour prendre les Anglais en flanc.

Lorsque Juchereau, guidé par Cassoulet, atteignit les marais, M. de Sainte-Hélène y accourait déjà avec trois cents Canadiens.

L’ennemi fut attaqué de front par Sainte-