Page:Feron - Le manchot de Frontenac, 1926.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
LE MANCHOT DE FRONTENAC

sait devant son père qu’elle salua d’une inclination de tête et d’un sourire.

Maître Turcot voulut lui parler, mais sa gorge serrée par l’émotion ne put émettre le moindre son. Il vit sa fille se perdre dans les rangs pressés du peuple à l’intérieur du temple.

Alors, pour faire passer son émotion, Maître Turcot s’écarta un peu de la porte, se pencha vers l’ombre à sa gauche et demanda à voix basse :

— Eh bien ! père Sévérin, est-ce que vous me regardez faire ?

— Oui, oui, Maître Turcot, je ne vous laisse pas de l’œil ! Je suis bien content, je saurai mieux m’y prendre dimanche.

— Mais regardez encore, père Sévérin !

— Parbleu ! c’est comme je vous l’ai dit.

Et, croyant avoir repris son calme, le suisse alla se camper de nouveau dans la porte illuminée.

— Mais il fut saisi de suite par une autre émotion en entendant une rumeur sourde derrière lui. Il se retourna et vit la foule qui s’écartait avec déférence sur le passage d’un être chétif, tout petit, mais qui avait à ses lèvres minces un sourire vainqueur et à son chapeau une plume blanche. Il marchait en se dandinant, la main gauche sur la garde de sa longue rapière dont le fourreau relevait un pan de son manteau gris.

Oui… c’était bien Cassoulet !

En le reconnaissant Maître Turcot pâlit affreusement, et les traits de son visage furent si subitement altérés et il fut secoué d’un si violent frisson, que le père Sévérin le crut malade et s’apprêta à courir à son secours. Mais Maître Turcot possédait des nerfs d’homme, il se dompta, se raidit, et put commander à ses lèvres de sourire.

Et au moment où Cassoulet allait franchir la porte, Cassoulet qui passait, digne et dédaigneux, sans faire mine de voir le suisse, celui-ci s’inclina sur sa hallebarde, sourit largement et toucha le lieutenant au bras. Cassoulet s’arrêta net, jeta un regard surpris sur le suisse et prononça avec un sourire fort narquois :

— Ah ! c’est vous, Maître Turcot ?

— Monsieur le lieutenant, souffla rapidement le suisse, après l’office, oui après… quand le cœur vous en dira… si vous voulez revenir, revenir ici même, j’aurai deux mots à vous dire… mais deux mots qui vous feront plaisir !

Et le suisse s’inclinait encore avec tant de courtoisie et d’humilité, il souriait si débonnairement, que Cassoulet demeura très surpris. Il pensa, non sans une grande joie qui se manifesta aussitôt dans ses regards brillants :

— Je gage que Maître Turcot consent à me donner la main de sa fille !…

Alors, il prit le meilleur de ses sourires et répondit :

— Maître Turcot, je ne saurais vous refuser ce moment d’entretien. C’est bien, je reviendrai après l’office, quand le peuple aura réintégré ses foyers.

— Vous n’aurez qu’à frapper deux petits coups dans la porte ! ajouta le suisse.

— Bien, Maître Turcot, je frapperai les deux petits coups !

Et, plus rayonnant que jamais, Cassoulet pénétra dans la cathédrale.

L’évêque et son clergé apparaissaient à cet instant dans le sanctuaire éclatant de lumières.

Le premier regard de Cassoulet fut de fouiller la masse compacte des fidèles pour découvrir, si c’était possible, la figure blonde et rose d’Hermine.

Un pouvoir surnaturel guida-t-il ses yeux ? Peut-être ! En tout cas, Cassoulet aperçut à quelques pas devant lui la jeune fille pieusement agenouillée et profondément recueillie.

Il savoura délicieusement la charmante silhouette.

Tout le temps que dura la cérémonie il ne perdit pas de vue la belle enfant. Ah ! comme il la trouvait belle… plus belle qu’il l’avait vue la première fois ! Ah ! oui, c’était véritablement une madone, comme nul peintre encore n’avait pu en imaginer, par la finesse des traits du visage et l’expression de douce sérénité qui les enveloppait. Quel peintre aurait pu trouver sur sa palette des cheveux aussi beaux, aussi dorés, aussi ondulés ! Quel artiste aurait pu trouver sous son pinceau des joues aussi roses et aussi veloutées ! Aurait-il pu imaginer une bouche aussi admirable ? Et ses yeux… est-ce qu’il était possible d’en faire de pareils en peinture ? Non, jamais ! Et cette nuque ? Ah ! une déesse en eût été jalouse ! Et Cassoulet rêvait, rêvait les plus folles choses ! Et ces choses lui parurent à la fin si mirifiques, si splendides, qu’il finit par les croire impossibles. Il eut honte d’avoir associé l’humanité à cet ange ! Car c’était un ange ! Il voulait s’en convaincre, et à tout moment il s’imaginait que l’ange allait s’envoler vers des Paradis célestes. Mais alors l’ange n’était pas pour lui ! Était-il possible qu’un homme, un mortel pût épouser un