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LE MANCHOT DE FRONTENAC

force de jouer avec des épées, vous finirez par vous faire tuer, et ça serait bien dommage !

Hermine ne répliqua pas, et docilement laissa panser sa légère blessure par la brave femme.

Puis, pour satisfaire la curiosité de celle-ci, la jeune fille fit le récit tout au long de l’incident qui était survenu au Palais Épiscopal.

Mais la mère Benoit n’était pas l’unique auditrice d’Hermine : le petit Paul, assis sur une marche de l’escalier qui montait à l’étage supérieur, écoutait, tout ravi, le récit de la jeune fille. Car rien ne plaisait tant au gamin que ces histoires de batailles où l’épée jouait toujours un si grand rôle. À l’arrivée d’Hermine le petit bonhomme était couché ; mais en entendant les premiers mots de la bagarre de l’évêché, il s’était levé doucement et, à l’insu de sa mère, s’était installé dans l’escalier d’où il pouvait voir et entendre la jeune fille.

Le récit de la fille de Maître Turcot n’avait pas moins ému la mère Benoit que son fiston.

— Ce n’est pas pour dire, commenta-t-elle, mais si ça continue comme ça, ce pauvre monsieur Cassoulet n’en mènera pas large longtemps.

— Oh ! je vous assure, madame Benoit, répliqua Hermine avec admiration, que Monsieur Cassoulet n’est pas facile à prendre. Il est brave, adroit, agile, et ceux qui lui en veulent finiront pas se lasser.

— Je vous crois, mademoiselle.

— Et puis il ne voulait pas faire de mal à personne, il était venu pour me faire sortir de la maison de Monseigneur.

— Mais quelle idée avait donc eue votre père de vous confier à Monseigneur l’évêque ?

— Il craignait pour ma vie dans l’impasse où viennent souvent des maraudeurs.

— Mais Monsieur Cassoulet, qu’est-ce qu’il a donc fait à Maître Turcot ?

Hermine rougit et avoua candidement :

— Bien, madame Benoit. Mon père n’est pas content parce que Monsieur Cassoulet m’aime et que je l’aime aussi.

— Mais encore, y a-t-il longtemps que vous vous aimez comme ça ? interrogea la mère Benoit tout étonnée.

— Ça ne fait que de commencer, répondit naïvement Hermine, et c’est par hasard ! Mais je pense que, quand on s’aime comme ça, tout d’un coup, sans se connaître, c’est bon signe, et que c’est une destinée et qu’il faut l’accomplir.

— Oh ! là vous avez raison, mademoiselle, sourit largement la mère Benoit. Anselme et moi on s’est aimés comme ça, et ç’à toujours duré.

La bonne femme, soudain, aperçut son fiston penché dans l’escalier et paraissait prendre un plaisir extraordinaire à écouter ce qui se disait entre les deux femmes.

— Comment, s’écria la mère Benoit en prenant un air courroucé, tu es là, marmouset, à écouter et à reluquer mademoiselle ? Va te coucher ! Voyez-vous ça ces enfants, si c’est pas curieux un peu ! Va te coucher !…

Tout confus, le petit bonhomme se leva pour obéir à l’ordre reçu. Mais Hermine l’interpella :

— Une minute, mon bon petit Paul, que je te dise un mot. Si tu veux me faire plaisir, demain tu te mettras à la recherche de Monsieur Cassoulet pour l’informer où je me trouve, veux-tu ?

— Oui, mamezelle, répondit le gamin.

— Ça vaudrait peut-être mieux de lui confier un petit message, suggéra la mère Benoit.

— Tout juste, madame. Demain matin j’écrirai un mot à Monsieur Cassoulet. Peut-être, petit, ajouta la jeune fille, pourras-tu le trouver encore au Château.

Il était tard lorsque les deux femmes décidèrent de se coucher.

Dès le matin, au moment où la bataille s’engageait dans les marais de Beauport, le petit Paul partit pour le Château Saint-Louis porteur d’un billet pour Cassoulet.

Mais le lieutenant des gardes n’était pas au Château.

Le petit bonhomme erra par la ville jusqu’au midi sans rencontrer Cassoulet et sans se douter que le manchot était parti à la tête de ses gardes pour la Canardière. Et nous savons comment, vers les quatre heures de l’après-midi, le gamin avait enfin trouvé Cassoulet porté en triomphe par le peuple.

Hermine avait passé toute cette journée dans la plus grande inquiétude. Quand le petit Paul vint lui dire que son message avait été donné au lieutenant des gardes, alors seulement la jeune fille respira. Puis, certaine que Cassoulait ne manquerait pas au rendez-vous qu’elle lui avait assigné, elle voulut se parer de ses plus beaux atours. Mais il lui fallait aller à son logis pour y chercher son linge. Accompagnée du petit Paul elle partit pour l’impasse. Elle manqua de s’évanouir en entrant dans son logis et en découvrant que tout avait été brisé et saccagé. Saisie de peur, elle rebroussa hâtivement chemin avec son petit compagnon, et regagna la mai-