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LE MANCHOT DE FRONTENAC

troupes de Winthrop qui rebroussa chemin avant même d’avoir atteint le lac Champlain.

Frontenac s’était rendu au lac Champlain pour lui barrer la route. En apprenant que le général anglais arrêtait sa marche et retournait sur ses pas, il revint précipitamment à Québec pour faire face à l’autre danger : l’amiral Phipps et sa flotte de trente-cinq navires.

À cette époque Québec n’était protégée que par des murs de palissades armés de petits canons. Frontenac fit aussitôt renforcer ces palissades, en fit dresser à la basse-ville et fit élever çà et là des barricades. Puis sur la rivière Saint-Charles il ordonna des retranchement ! qui furent confiés à la garde des miliciens.

Lorsque la flotte anglaise parut le 16 octobre. la capitale venait de terminer ses apprêts de défense.

Phipps, qui ignorait la retraite de Winthrop, envoya le même jour un parlementaire pour sommer le comte de Frontenac de livrer la ville.

On sait les paroles mémorables que répondit le gouverneur :

— Monsieur, répliqua-t-il au parlementaire, allez dire à votre maître que je lui répondrai par la bouche de mes canons, et qu’il sache que ce n’est pas ainsi qu’on fait sommer un homme comme moi !

Ces paroles énergiques n’avaient pas manqué d’impressionner très fort l’amiral anglais, qui pensa que la ville était en bon état de soutenir un siège. Tout de même, il résolut de tâter le terrain, et deux jours après, le 18 octobre, il bombardait la capitale. Mais les canons de Frontenac causèrent plus de dommages aux navires anglais que ces derniers de leurs canons n’en avaient faits à la ville. Et le 19 au soir les vaisseaux fort avariés de Phipps retournaient à l’Île d’Orléans.

Mais Phipps n’était pas tout à fait découragé, il voulut faire une nouvelle tentative. Et ce même soir du 19 il transmettait au major Walley, retranché sur le rivage de Beauport, l’ordre de marcher le lendemain contre la ville et lui dépêchait dans la nuit de l’artillerie et une force de deux mille hommes.

Le 20 au matin, la population de la capitale s’était donc grandement réjouie en constatant que les vaisseaux ennemis s’étaient retirés. Mais sa joie fut de courte durée. Car dès le lever du soleil une formidable mousqueterie éclatait du côté de la rivière Saint-Charles : Walley attaquait avec près de quatre mille hommes. Le Moyne de Sainte-Hélène retranché sur la rive gauche de la rivière avec cinq cents Canadiens.

À cette nouvelle, Frontenac rassembla quelques bataillons et alla prendre position sur la rive droite, pour empêcher les Anglais d’y prendre pied au cas où Sainte-Hélène ne pourrait les refouler. Ce dernier avait pour le seconder son frère Le Moyne de Longueil, et tous deux ce jour-là allaient accomplir des prodiges de valeur à la tête de leurs Canadiens.

L’action avait été tout à fait inattendue. Les Canadiens étaient au repos dans leurs retranchements, lorsque deux sentinelles vinrent prévenir Sainte-Hélène que les Anglais traversaient les marais de Beauport. Sainte-Hélène décida d’aller à leur rencontre. Mais à quelques arpents de ses retranchements il fut assailli par une grêle de balles venant d’épais fourrés : il y avait là trois régiments anglais qui, à la faveur de la nuit précédente, s’y étaient dissimulés. Surpris, le jeune capitaine canadien retraita vers ses retranchements pour y demander l’appui de son frère de Longueil. Celui-ci par une marche rapide alla détourner les fourrés et prit les Anglais en flanc, tandis que Sainte-Hélène revenait à la charge et les attaquait de front. Les Anglais durent évacuer les fourrés et retraiter vers les marais pour y attendre une colonne de quinze cents hommes qui s’avançait avec de l’artillerie.

Ce que voyant et devant une force bien supérieure à la sienne, Sainte-Hélène plaça ses meilleurs tireurs dans les fourrés du voisinage avec ordre de servir à l’ennemi un feu meurtrier, puis il divisa sa bande de Canadiens et celle de son frère en petites escouades pour assaillir les Anglais par plusieurs côtés à la fois. Cette tactique était la meilleure à prendre, et elle fut couronnée de succès.

Lorsque la colonne anglaise parut, elle fut assaillie de balles si meurtrières qu’elle fut ébranlée. Mais, s’étant raffermie, elle dirigea le feu de son artillerie contre les fourrés qu’elle ravagea à ce point de les rendre intenables aux tireurs canadiens. Sainte-Hélène ordonna de feindre la retraite vers les retranchements pour inciter les Anglais à avancer encore.

Pendant ce temps Le Moyne de Longueil et les miliciens de Beauport allaient reformer leurs détachements plus loin, puis se glissaient dans la broussaille pour attendre l’avance de l’ennemi. Le major Walley, qui commandait la colonne anglaise, crut avoir