Page:Feron - Le manchot de Frontenac, 1926.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
LE MANCHOT DE FRONTENAC

— Non, ce n’est pas un bandit ! cria tout à coup une voix frémissante de femme.

Tous les spectateurs de cette scène demeurèrent figés de surprise, en voyant Hermine, la robe et le corsage déchirés et sa main droite ensanglantée, paraître par une porte latérale.

— Ah ! ah ! fit l’évêque en essayant de sourire, ce n’était pas un bandit, dites-vous ?

— C’était Cassoulet, Monseigneur, répondit la jeune fille en rougissant.

— Cassoulet !…

— Il était venu me donner de ses nouvelles à ma fenêtre !

— À votre fenêtre ?

— Et ces hommes, Monseigneur, voulaient l’assassiner.

— Oh ! oh ! fit l’évêque en promenant des regards terribles sur les hommes de Baralier.

— Monseigneur, dit humblement l’un d’eux, nous ne voulions pas assassiner Monsieur Cassoulet ! C’est Maître Baralier qui nous a embauchés pour tuer un bandit !…

— Maître Baralier ? Et où est-il, Maître Baralier ?

— Il s’est sauvé, Monseigneur, déclara Maître Turcot.

— Et vous, Maître Turcot, que faites-vous

— Il était avec Maître Baralier, dit un milicien.

— Ah ! ah ! Maître Turcot, c’est ainsi que vous conduisez des bandes de miliciens à l’enfer ! Et qui vous a ouvert la porte ? interrogea l’évêque en regardant les miliciens, Norbert, je suppose ?

— Non, Monseigneur… c’était Cassoulet !

— Cassoulet ? Mais il était donc dans ma maison !

— En effet, Monseigneur, dit Maître Turcot qui voulut détourner l’orage qu’il sentait venir. Le vilain farfadet a sauté par une fenêtre dans votre maison.

À cette minute les domestiques revenaient des étages supérieurs et entouraient l’évêque et les miliciens.

Alors Monseigneur regarda sévèrement Maître Turcot et dit sur un ton grave et imposant :

— Approchez, Maître Turcot… bien ! Maintenant écoutez : devant ces hommes que vous avez, avec le concours de Maître Baralier, embauchés pour faire assassiner un pauvre jeune homme qui ne vous a fait aucun mal, oui devant ces hommes et devant mes serviteurs je vous dis que vous êtes un pervers, un misérable, et je vous le dis encore devant votre fille. Maître Turcot, vous faites la traite clandestine de l’eau-de-vie et en dépit de mes sermons et de mes mandements, oui, vous que j’ai choisi comme mon suisse ! N’est-ce pas une honte ? Allons ! vous autres qui m’entendez, cria l’évêque aux miliciens, n’est-ce pas honteux que cet homme ait ainsi trompé ma confiance en se livrant à cet odieux commerce ?

De son regard terrible il foudroyait Maître Turcot. Et lui, confus, terrifié, tremblait tant qu’on entendait ses dents claquer dans sa bouche.

Et Monseigneur allait continuer ses remontrances, lorsque tout à coup un des domestiques s’écria en indiquant la porte ouverte du vestibule :

— Là, Monseigneur, là, voyez le bandit avec votre robe violette sur son dos !

Il y eut une stupeur générale.

Dehors, vers la rue, et dans l’obscurité que blanchissaient les lumières du vestibule, on pouvait apercevoir, en effet, une forme quelconque revêtue d’une robe violette.

Les miliciens s’élancèrent en armant leurs fusils.

— Arrêtez ! arrêtez ! cria l’évêque.

Mais il était trop tard : dans leur zèle les miliciens firent partir leurs fusils. Une vibrante détonation éclata et tout le vestibule s’emplit d’une fumée âcre de poudre.

Mais chose curieuse, lorsque la fumée se fut dissipée, on put voir encore la robe violette à la même place.

L’étonnement était devenu de l’hébétement.

L’évêque sortit suivi des miliciens et de la valetaille.

Il s’arrêta près d’un poteau de pierre, et reconnut que ce poteau avait été par quelque malin revêtu de l’une de ses robes violettes. Il retira la robe et l’examina : elle était trouée à plusieurs endroits par les balles des miliciens.

Il se mit à rire.

— Heureusement, dit-il, que je n’étais pas dedans !

Puis il rentra dans le vestibule où étaient demeurés Maître Turcot et sa fille.

Il se tourna vers les miliciens et dit :

— Vous autres, regagnez vos foyers, et à l’avenir n’écoutez plus les perfides paroles de la canaille ! Quant à vous, Maître Turcot, emmenez votre fille. À l’avenir vous ne se-