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la curiosité le porta à jeter un rapide coup d’œil sur le logis. Spacieux, propre et rempli d’un parfum qui le grisait, voilà la première impression qui frappa l’esprit du jeune homme. À l’extrémité opposée, un lit blanc et rose, entouré de dentelles, avec une petite table au chevet et deux livres sur la table. Puis un canapé le long du mur, deux fauteuils et la table où il se trouvait. À gauche, vers le centre, Cassoulet remarqua un grand foyer aux braises mortes depuis que le printemps était venu avec son soleil réchauffer la nature. Au fond, vis-à-vis de la porte se trouvait un fourneau bien frotté, luisant, puis une armoire, puis une table de toilette avec un miroir appendu au mur. Dans ce miroir Cassoulet aperçut pour la première fois l’image de la jeune fille. Celle-ci venait justement d’y lever ses yeux, et ses regards rencontrèrent sur la glace illuminée les regards de Cassoulet. Celui-ci rougit terriblement. Mais déjà les beaux yeux bleus et candides de la belle image s’étaient baissés.

Cassoulet, pour échapper à son nouveau trouble, à sa confusion, se mit à regarder les images accrochées aux murs : des images de saintes, un grand portrait de la Vierge, puis un grand crucifix de plâtre argenté. Ce crucifix était à l’autre bout, au pied du lit blanc, et Cassoulet n’avait pu voir dans l’ombre un prie-Dieu placé sous le crucifix. Mais ce qu’il vit bien, et à sa plus grande surprise, ce fut, entre le crucifix et le portrait de la Vierge, une petite panoplie d’armes diverses parmi lesquelles il remarqua surtout des épées, des mousquets et des pistolets. Il frémit… car la vue des armes le faisait toujours frémir, non de peur, mais, de vaillance !

Cassoulet avait-il tout vu dans ce rapide coup d’œil ? Certes, il lui avait bien fallu passer par-dessus quelques bibelots, notamment sur la tablette de la cheminée. Mais droit derrière lui, au mur, il n’avait pas regardé dans la crainte qu’en se retournant sa curiosité ne fût surprise. Après avoir tout vu, ou cru tout voir, il se décida à regarder discrètement autant que possible derrière lui. Il tourna la tête, tordit quelque peu sa taille, et frissonna en apercevant un grand tableau aux couleurs magiques qui représentait, assise dans une bergère, une belle jeune fille… une jeune fille si semblable à celle qu’une table séparait de lui, qu’il reconnut sur-le-champ la gracieuse Hermine. Hermine !… Ah ! quel nom… suave, délicieux, savoureux ! Cassoulet en avait à la bouche une salive débordante ! Ses yeux se trouvaient si éblouis par le riche coloris du tableau qu’ils papillotèrent, et lorsqu’il les ramena devant lui, il faillit s’évanouir en découvrant que la jeune fille le regardait doucement toujours avec son sourire charmeur.

— Mademoiselle, bredouilla-t-il en rougissant plus que jamais, en tremblant… à tel point qu’il échappa son feutre…, mademoiselle, je vous demande pardon d’être venu troubler votre tranquillité. Pardonnez-moi mon indiscrétion… pardonnez-moi, mademoiselle…

— Monsieur, interrompit la jeune fille d’une voix musicale et douce comme un son de lyre, je ne vous en veux nullement. Lorsque vous avez frappé à la porte tout à l’heure, j’ai pensé que c’était un passant égaré dans l’obscurité de la ville, ou en détresse sous la pluie de fer qui crépitait… j’ai ouvert.

— Alors… vous ne saviez donc pas que c’était moi qui…

Cassoulet s’arrêta en blêmissant cette fois. Il s’aperçut juste à temps qu’il allait dire une sottise.

— Non, je ne savais pas, monsieur, répondit placidement la jeune fille en reprenant sa couture.

Cassoulet ne sut plus que dire. Lui, l’audacieux, le hardi, le téméraire, devant cette jeune fille si calme, si candide, il se trouvait désemparé. Ah ! c’est qu’il avait toujours manqué de contenance devant les jeunes et belles créatures. La seule vue d’une jeune femme qui le regardait, d’une jeune fille qu’il croisait dans la rue le troublait énormément, et il devenait d’une timidité à faire gloser une gamine de dix ans. Que voulez-vous, ce n’était pas sa faute !

Mais enfin, là, ce soir, il commençait à s’apercevoir qu’il devenait stupide. Il décida de réagir. Il chercha des paroles quelconques.

— Mademoiselle, bégaya-t-il, vous me reconnaissez ?

— Oui… je vous ai vu ce soir pour la première fois.

— Pour la première fois !… Au fait, je viens rarement dans ces parages. Mais je savais que c’était ici l’habitation de Maître Turcot.

— Mon père n’habite pas ici, corrigea avec son sourire ineffable la jeune fille.

Cassoulet manqua de sauter en l’air.

— Vous restez seule ici ?

— Dans ce logis, oui. Mon père demeure