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suisse n’est pas là. Je ne serais pas étonné qu’il fût en train de boire en quelque taverne de la basse-ville, car Maître Turcot n’a pas les bajoues cramoisies pour rien ! Entrons !

Il avança près de la porte et frappa timidement.


II

L’ANGE ET LE DIABLOTIN


Une accalmie se faisait à l’instant même, et sur toute la cité un court silence plana. Dans ce silence Cassoulet écouta avidement les bruits du logis. Nul bruit que ce même fredonnement qui avait charmé son ouïe l’instant d’avant.

Cassoulet frappa encore. Son cœur battait plus fort que ne cognait son poing. Et son faible heurt fut couvert par la voix gigantesque des canons qui recommençaient à tonner. Mais le heurt, tout léger qu’il avait été, fut entendu. Car un pas rapide marcha dans l’intérieur de la bicoque vers la porte qui s’ouvrit lentement. Cassoulet, saisi tout à coup d’une crainte respectueuse, recula. Mais il s’arrêta aussitôt en voyant dans le cadre de la porte éclairée la ravissante créature lui souriait.

— Entrez vite, monsieur, murmura la jeune fille en s’effaçant.

On entendait des boulets de fer siffler, hurler, tomber, fracasser quelque chose dans le voisinage.

Le sourire de la jeune fille, son calme et sa grâce candide produisirent un effet si frappant sur Cassoulet qu’il demeura comme statufié. Et, n’était-ce pas étonnant ?… il lui semblait que cette admirable jeune fille l’attendait… qu’elle l’avait attendu lui, Cassoulet ! Oui, il aurait juré que l’exquise créature attendait sa visite ! N’importe ! il se ressaisit et, ayant jeté un rapide coup d’œil dans le logis pour s’assurer que cette jeune fille était bien seule, il entra.

Elle, doucement, referma la porte et tira deux fois les verrous.

Ce qui grandit l’admiration de Cassoulet, ce fut de penser que cette frêle enfant, qui n’avait pas plus de 17 ans, demeurait seule, tout à fait seule, dans cette bicoque qu’un seul boulet de canon aurait pu démolir, et de voir que l’enfant ne paraissait nullement avoir peur.

Oui, elle était là souriante et tranquille.

Au jeune homme qui, gauche et confus, roulait entre ses doigts agités son feutre à plume blanche, elle indiqua un siège près d’une table placée au centre de la pièce. Elle-même s’assit dans une bergère entre la table et la fenêtre par laquelle Cassoulet avait vu la belle image, et elle reprit le travail de couture… un morceau de lingerie quelconque, mais une lingerie blanche comme un lys… Elle travaillait tranquille, légèrement souriante, sans regarder son visiteur, et elle demeurait muette, comme si elle avait attendu que le jeune homme expliquât sa visite nocturne.

Cassoulet, si intrépide dans les dangers de toutes sortes ; Cassoulet qui eût regardé la mort en face et sans frémir le moindrement, tremblait. Son regard vacillait. Ses doigts continuaient de tourner et de retourner le feutre percé de balles anglaises. Et alors seulement, à la clarté de la lampe à abat-jour qui éclairait le logis… oui à la clarté de cette lampe posée sur le milieu de la table le jeune homme vit son feutre percé et ses habits lacérés, tachés de sang et couverts de poussières. Il se troubla encore davantage. Ah ! dans son émoi, dans son désir ardent de revoir au plus tôt la gracieuse jeune fille, il n’avait pas songé à faire un bout de toilette. Il eut honte de sa personne ! Ah ! elle était là, elle, si propre, si soignée, si éblouissante dans sa robe modeste. Ce n’était qu’un corsage de velours bleu… mais un corsage qui emprisonnait un buste de nymphe ! Une jupe de toile rose qui allait jusqu’à la moitié d’une jambe que Cassoulet ne pouvait voir nettement, mais qu’il devinait magnifiquement tournée. Il voyait mieux le petit pied… le plus beau des petits pieds… le plus mignon petit pied… le plus délicat chaussé d’un soulier de satin rouge ! N’était-ce pas délicieux ? Cassoulet passa sa langue humide sur ses lèvres sèches. Puis ses yeux remontèrent à la tête auréolée d’un nimbe d’or. Tout à l’heure il avait aperçu un profil… maintenant il voyait l’autre, et il le voyait mieux dans la lumière pâle de la lampe. Des cheveux de soie, ondulés merveilleusement, avec la même natte dorée sur la nuque délicieuse. Une suave petite papillote cachait à demi la jolie oreille rose. Une petite fossette… oh ! toute petite dans la joue grasse et près du coin des lèvres… Puis encore son regard tomba sur les fines mains, les doigts délicats qui remuaient avec une grâce charmante, qui travaillaient avec une habileté remarquable.

Après avoir admiré la maîtresse de céans,