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— Est-il venu un monsieur habillé tout en noir ? demanda-t-il à l’hôtesse.

— Pas vu, répond celle-ci en tremblant.

— N’importe, je vais attendre ; tenez ma porte fermée.

Depuis quelques minutes les curieux chuchotaient dans la cuisine, lorsque tout à coup la porte s’ouvrit, sans que personne se montrât. Gamache, au moyen d’un bâton armé d’une longue ficelle, avait fait l’opération, tout en restant à l’autre extrémité de la salle à manger. Pâles de frayeur, hommes, femmes, enfants s’enfuient par les portes et par les fenêtres ; Gamache est resté maître du champ de bataille ; il se présente devant l’hôtesse, toute tremblante, après la fuite précipitée des compères et des commères.

— Eh bien ! madame, vous n’avez pas encore vu venir le monsieur en noir ?

— Non, personne ne l’a vu.

— N’importe, il paiera toujours son écot, et je souperai pour lui et pour moi.

Après ce fait, passé devant beaucoup de témoins, personne dans la paroisse de Rimouski n’aurait osé soutenir que le sorcier d’Anticosti n’avait pas des rapports intimes avec sa majesté satanique.

De temps à autre, Gamache visitait les Montagnais de la côte du Nord, pour traiter avec eux, quoique des voyageurs ne fussent pas sans danger pour lui. Voici pourquoi : la compagnie des postes du Roi prétendait avoir le privilège exclusif de faire le commerce des pelleteries au nord du Saint-Laurent, et menait assez durement les caboteurs qui s’aventuraient sur ses prétendus domaines. Élevé à l’école des Anglais, Gamache s’était déclaré l’ennemi des monopoles ; dans les courses qu’il entreprenait avec sa goélette, légère et fine voilière, il usait, à l’exemple de ses modèles, du droit de trafiquer avec le monde entier. Comme il aimait à faire les choses franchement, il allait étaler ses marchandises à la barbe des employés de la compagnie, dont il mépri-