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DE L`HUMANISl\lE A LA RÉFORME. T9 par ce qu’il a de meilleur; elle le sait essentiellement docile, p1·ompt it s’émouvoir, prompt a oublier, facile a séduire, mais plus facile âi 1·amcner : être indiscipliné en apparence, il a au fond, comme lest de sa nature, un grand besoin d’etre dirigé, d’etre instruit, rassuré, console, qui tot ou tard lui fait re- prendre l’équilib1·e; capable de s’éleve1· au-dessus ·de lui- nieme, incapable de s’y soutenir, il est plus vite las d’indé— pendance que d’obéissance, plus enclin a douter de lui-même que de l’autorité, quelle qu`elle soit; bref, sauf certaines exceptions, véritables phénomènes que l`Eglise a quelque- fois observés avec stupeur, c`est toujours le troupeau dont parlait Homère avant l’Évangi|e, le bon et paisible troupeau que d’un signe le berger gouverne. Cette vue sur la nature humaine, qui s’est toujours trouvée juste, n`avaitpas cessé de Vôtre depuis que Luther avait parlé; elle l’était autrement, mais el_le ne l’était pas moins pour les lettrés du xvx° siecle que pour les masses ignorantes du moyen age, et l’Église augurait bien deces hommes de la Renais- 4 sance en prévoyantque, le moment venu d’opposer leurs idées individuelles a l’antique et universelle doctrine de l’Eglise, leurs visées de réforme à sa tradition séculaire, leur isolement ai son organisation, leur ondoyante diversité it sa puissante unité, ils hésiteraient, ils reculeraient, ils s’évanouiraient. Elle eut raison de penser qu`elle trouverait pour secrets auxi- liaires, au sein de la société et dans chacun de ces lettrés en particulier, non seulement les intérets, les passions, la peur, les défaillances de caracteres, mais quelque chose de plus noble, tous les scrupules, "toutes les craintes d’un esprit ` qui ne se sent pas infaillible. Ne faut-il pas a_ un homme la plus étrange audace pour se lever tout seul du milieu · i de la foule et se dresser en face d`une institution qui a pour elle la majesté des siecles, la vénération des peuples, le consentement universel du genre humain? On a beau etre librede préjugés : plus on l.’est, plus on doit sentir la folie d’une telle démarche. Qui pourra s`y résoudre, at moins d`ètre poussé comme par une fo1·ce surhumaine? Et, même parmi ceux qui auront faitun premierpas, beaucoup ne s`arrèteront— ils pas troublés, confus, inquiets d`eux-memes, vaincus par