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archives de Genève, de Bâle et de Zurich. Commencez par là, faites-y une fouille à fond, vous reviendrez les mains pleines, et nous en recauserons. Vous y perdrez beaucoup de temps qui ne sera pas du temps perdu. » Et son dernier mot fut, sur un ton de douce insistance et avec un sourire que je vois encore : « Surtout, jeune homme, surtout ne vous pressez pas ! »

Si le bon doyen avait pu savoir à quel point son conseil serait suivi !

Quelques mois de travail dans ces bibliothèques si sûrement indiquées eurent un premier effet qu’il avait peut-être prévu tout bas, connaissant bien les jeunes gens et ayant une si grande expérience de leur inexpérience. Jeté en pleine mine, au milieu de tant de richesses, comment se borner, comment choisir ? Ô les longues et délicieuses journées passées, grâce à l’hospitalité patriarcale des archivistes, dans la chambre haute du vieil Antistitium de Bâle ou au fond du dépôt des archives à Zurich, en tête à tête avec ces manuscrits jaunis, effacés, parfois illisibles, mais si vivants ! Il faudrait n’avoir jamais eu cette sensation du contact direct avec le passé que donnent les documents originaux pour ignorer qu’il n’y a rien de si neuf que les vieux livres et que, sous leur air d’antiquité, ils cachent des trésors de fraîcheur et de poésie. Mais c’est là même qu’est la tentation pour les jeunes travailleurs que ne guide pas une discipline vigilante : plus on trouve, plus on veut trouver, les matériaux s’amassent, le sujet s’étend et le travail avance d’autant moins que ses bornes reculent. En attendant, la vie marche avec ses obligations réelles, le temps passe, et l’on s’aperçoit un jour que l’âge des études est fini longtemps avant que la thèse le soit. Qui n’arrive pas trop jeune au doctorat est presque sûr d’y arriver trop vieux. Ce livre en est une nouvelle preuve.