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postérité mon sot orgueil ! J’étais en effet, sauf le bon plaisir de la Muse, un poète, un µονσοπαταγος d'une légèreté toute grecque (græcæ plane levitatis).

Je confesse ces choses, dont j’ai déjà rougi bien des fois à part moi, en y réfléchissant, depuis que j'ai mieux connu la vérité, accusé par ma conscience plus forte que mille témoins. Aussi, renonçant désormais à cette gloriole grecque, puisque je trouve aujourd’hui l’occasion que j’ai


    plus que jeunes avaient une facilité et une joie de collégiens à rapprocher tant bien que mal de quelque souvenir classique les noms qui semblaient s'y prêter le moins. Ils jouaient sur le nom de leurs professeurs :

    Ravisius Textor textores vicit ad unum
    Et telas textor textuit eximias.

    (Voulté, Epigr., p. 36.)

    Doctrinæ encyclopædiam quod unus
    Perfectam efficias et absolutam
    Non injuria es Anulus vocatus.

    (Gilb. Ducher, Epigr., p. 133.)

    Sur le nom de leurs maîtresses :

    Lucida lucidulis lucet mea Lucia membris
    Nullaque lucidulo pectora menda sedet.

    (Cl. Rousselet.)

    Sur le nom de leurs protecteurs et des personnages les plus graves : la mort du théologien Duchesne inspire à Rousselet une élégie ad porcos de amissa quercu (p. 69), il dit à Hugues Dupuy, son patronus singularis :

    Tunc promis puteum te accito forte cliente
    At puteal, præstans cum puteo puteal.

    (P. 117.)

    Pour célébrer le président Du Vair, il se torture à trouver des allusions au printemps.

    Voulté défend vivement Rabelais de l'étymologie qu'un zoïle avait forgée (rabie læsus) (p. 61) et retourne à l'honneur des deux Sève un compliment fâcheux tiré de leur nom :

    Nec te sævus homo es, re vere et nomine Scæva ;
    Sævus et ipse tibi, blandus et ipse aliis.

    Que de fois Marot n'a-t-il pas dû être impatienté du rapprochement de son nom avec celui de Virgile (Maro) ? C'est par centaines que se comptent dans la littérature contemporaine les variantes de ce distique de Nic. Bourbon :

    Carmina quæ scribit gallo sermone Marotus
    Vivent, dum vivent et tua, magne Maro.

    (Nugar. lib. V, 65.)

    L'abus n'était pas moindre en vers français. Ronsard lui-même n'écrit-il pas « à son précepteur » :

    Je ferais grande injure à mes vers et à moy
    Si en parlant de l'or, je ne parlais de toy
    Qui as le nom doré, mon Dorat ? car cet hymne
    De qui les vers sont d'or, d'un autre homme n'est digne
    Que de toy dont le nom, la muse et le parler
    Semblent d'or que ton fleuve Oronte fait couler.

    (Œuvres de Pierre Ronsard, éd. in-f° de 1623, II, 1125.)

    Ce jeu de mots même que se reproche tant Castellion, il avait été fait avant lui. Les Epigrammata posthumes de Claude Rousselet (1537) contiennent une petite pièce adressée à un docteur en théologie qui s'était fait appeler non pas Castalio, mais Castalius :

    Castalio Aonidum Phœbique vocaris ab amne,
    Nec sine re tibi sont nomina Castalii :
    Castalius liquidas rivus defundit ut undas
    Fontis et irrorat sicca labella liquor,
    Sic tua mellituum diflundens vena liquorem
    Barbariem, grato mixta labore, fugat.

    (Cl. Rousselet, Epigrammata, p. 26.)