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LE « TRAICTÉ DES HÉRETIQUES >> DE llI.·\RTIN BELLIE. 361 devoir, suyvant ton commandement de s’apprester 1·obbes blanches : et que les autres pour cela vinssent a les affliger, ou mettre à. mort .? Ne destruirais-tu pas malheureusement ces méchants-la? · Mais que serait-ce encores, si ces homicides-là disaient qu’ils auraient fait cela en ton nom, et par ton commandement? Combien que tu l’eusses auparavant estroitement défendu : ne jugerais-tu pas que ce faict serait trop grief et énorme, outrageux et digne d’estre puny sans miséricorde? Or je te prie, Très illustre Prince, d’entendre henignement pourquoi je dy ces choses . Christ est Prince de ce monde, lequel se départant de la terre, a prédit aux hommes, qu’il viendrait a un jour et heure incertaine; il a com- mandé qu’ils se préparassent robes blanches pour sa venue, c`est-a-dire qu’ils vesquissent ensemble chrestiennement, amiablement, et sans au- cuns debats, ne contentions, s`entreaimant l’un l’autre. Or maintenant, considérons, je te prie, comment nous faisons bien notre office. Combien y en a-t-il, qui soyent curieux de se préparer ceste robe blanche? Qui est celuy qui s’ett`orce avec toute solicitude de vivre en ce monde sainctement, justement, et religieusement, attendant la venue du bienheureux Dieu? On ne se soucie de rien moins. La vraye crainte de Dieu, etla charité est mise au bas, et du tout refroidie : nostre vie se passe en noises, en contentions, et toute sorte de pécliez. On dispute, non pas de la voye par laquelle on puisse aller a Christ (qui est de corriger nostre vie,) mais de l’estat et office de Christ, à savoir, ou il est maintenant, que c‘est qu’il fait, comment il est assis a la dextre du Père, comment il est un avec le Père. Item de la Trinité, de la predestination, du franc arbitre, de Dieu, des anges, de l’estat des ames après ceste vie, et autres semblables choses 1 lesquelles ne sont grandement nécessaires d’estre cogneües, pour acquerir salut par foy (car sans la cognoissance d‘icelle, les pnblicains et les paillardes ont esté sau-vez) et ue peuvent aussi estre cogneües, si premièrement nous n'avons le cœur net, en tant que voir ces choses, c’est voir Dieu, lequel ne peut estre veu, sinon d’un cœur pur et net (suyvant ce qui est escrit : « Bienheureux sont ceux qui ont le cœur net, car ils voirront Dieu »). Lesquelles choses aussi, encore qu’elles fussent entendues, ne rendent point l’homme meilleur (comme ainsi soit que sainct Paul a dict: « Sij’eutendais tous mystères et secretz, et je'n’aye charité, je ne suis rien). >> Ceste solicitude des hommes (laquelle va tout à rebours) comme elle est d'elle-même vicieuse, vient a engendrer d’autres plus grands maux. Car les hommes estans enllez de ceste science, ou plus tost de ceste fausse opinion de science, desprisent hautainement les autres, au pris d'eux; et s’ensuyt, tantost après, cest orgueil, cruauté et persécution; en sorte que nul ne veut plus endurer l’autre, s`il est discordant en quelque chose avec luy, comme s’il n’y avait pas au_jourd’huy quasy autant d’opinions que d’hommes. Toutesfois il n’y a aucune secte, laquelle ne condamne toutes les autres, et ne veuille regner toute seule. De la viennent bannissemeus, exilz, liens, emprisonnements, bruslemens, gibetz, et ceste misérable rage de supplices et tourmens qu’0n exerce journellement, a cause de quelques opinions desplaisantes aux grands, et mesmement de choses incogneües, et déjà. disputées entre les hommes, par si longue espace de temps, et sans aucune certaine conclusion.