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le supplice de michel servet


bien d’un jurisconsulte. Calvin, après avoir d’abord refusé à Gribaldi un entretien, consent à l’entendre, mais à la séance de la compagnie des ministres. Gribaldi s’y présente, il s’avance tendant la main à Calvin, qui la lui refuse « jusqu’à ce que, dit-il, nous soyons d’accord en la doctrine. Sur quoy, sans autre chose, le dit jurisconsulte s’en alla en disant : adieu, Messieurs[1]. » Calvin le fit citer devant le Conseil. Gribaldi, refusant de se preter à un interrogatoire dogma­tique, soutint simplement que c’était un excès de rigueur et une injustice de ne pouvoir tolérer dans cette ville quelqu’un qui ne fut pas d`accord sur la doctrine. Calvin se vante bien de l’avoir réfuté, mais il convient que le Conseil jugea propos de laisser tomber l’affaire et partir le jurisconsulte.

Gribaldi à cette époque était de ces savants italiens qui appartenaient déjà à la Réforme sans avoir rompu avec Rome. Ce ne fut que deux ans plus tard que, menacé par la nouvelle Inquisition romaine, il quitta définitivement l’Italie et vint s’établir en pays protestant.

Quoi qu’il en soit, nous avons la trace de l’influence qu’exer­cèrent les propos dont se plaignait Calvin. Gribaldi emme­nant avec lui le jeune Basile Amerbach, qui allait étudier le droit à Padoue, passe à Coire, cause avec le pasteur Vergerio de l’affaire de Servet, reprend la discussion; et il faut bien qu’il ait à demi persuadé Vergerio, puisque celui-ci, dans une lettre à Bullinger, en témoignant la plus profonde hor­reur pour « les Servet et autres monstres semblables », ajoute aussitôt : « je ne serais pourtant pas d’avis qu’on usât contre eux du fer et du feu : je vous le dis parce que je sais que les Genevois vous demandent votre avis »[2]. Et quelques jours après, quand il a lu la réponse de l’Église de Zurich, il l’approuve en termes ambigus « parce qu’elle ne conclut pas expressément à la peine de mort, tout en laissant entendre que c’est bien la pensée »[3]. S’il n’a pas le courage de com­battre ouvertement cette « pensée », il se permet cependant de maintenir qu’il aurait préféré la prison, si dure qu’on la

  1. Colladon, Vie de Calvin, p. 67.
  2. Lettre du 3 oct. 1553. (Opp. Calv., VIII, 633.)
  3. Ibid., xiv, 635.