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souverain doté par Pépin le Bref, pillé et détruit par les Hongrois, puis restauré par les Bénédictins de Cluny, dont il était devenu une des plus riches maisons[1].

Les serfs de Saint-Martin-du-Fresne avaient été les premiers à se placer sous la main des moines, ils furent les premiers plus tard à en connaître le poids. Aussi ne s’étonne-t-on pas de les voir prendre parti pour de nouveaux protecteurs, les sires de Thoire. Protecteurs assurément aussi peu désintéressés que les anciens, peut-être plus rudes, plus violents; mais l’instinct populaire se trompait-il en attendant d’un maître séculier, si dur qu’il fût, un moins grand art et une moins parfaite continuité de tyrannie?

Les sires de Thoire, peu à peu enrichis par conquête et par mariage, maîtres d’une grande partie de l’ancienne sirerie de Coligny, puis de celle de Villars, s’arrogeant des prérogatives souveraines jusqu’au droit de battre monnaie, fiers de leurs donjons, fiers de leur capitale, Poncin, qui faillit devenir celle du pays tout entier, ne tardent pas à se heurter au prieuré. Les domaines se touchent de si près qu’ils s’enchevêtrent, et quatre siècles se passent à tenter et à repousser de part et d’autre des empiétements. Souvent on en vint aux mains. Le couvent résista, il soutint des sièges, signa des traités et des trêves, assura des franchises aux bourgeois de Nantua pour s’en faire des défenseurs. Entre plusieurs, un épisode est resté célèbre dans les traditions locales.

En 1250, les paysans de Saint-Martin avaient décidé des destinées du couvent : ils avaient délivré leur jeune seigneur Hambert, enlevé par les moines et les bourgeois de Nantua; et de concert avec les seigneurs ils avaient réduit à merci la ville et son prieuré ; il y eut une Jacquerie conduite par des hobereaux. Enfin s’éleva à Saint-Martin même, presque à la porte du couvent, le château fort, menace perpétuelle pour les moines. Eux aussi sentirent qu’il fallait se donner un protecteur, et ils se mirent sous la dépendance étroite de la maison de Savoie, qui saisit quelque incident des guerres de

  1. Charles Jarrin, la Bresse et le Bugey, leur place dans l’histoire, Bourg, 1883, in-8, p. 213.