Page:Feraud - Dictionnaire critique de la langue française, T2.pdf/8

Cette page n’a pas encore été corrigée

vj AVERTISSEMENT.


les sons les uns des autres. —— Nous ajouterons que quant à ce qu’on dit qu’on méconaîtra l’ortographe de nos meilleurs livres, et qu’ils deviendront, en peu d’années, hors d’usage, c’est une dificulté qui regarde l’ortographe actuelle presque autant que notre nouvelle ortographe. Ceux, qui conaissent les anciènes éditions de nos meilleurs ouvrages, en seront aisément convaincus, en les comparant avec les éditions nouvelles ; et tout le monde pourra aussi aisément s’en convaincre par la même méthode. Nous n’estimons pas que quelques accens plus régulièrement placés, et quelques retranchemens des doubles consones, puissent défigurer l’ortographe au point de rendre les livres du siècle pâssé hors d’usage. On lit encôre, sans beaucoup de peine, les ouvrages du 16e. siécle, ceux d’Amyot de Montaigne, par exemple, quoiqu’on ait tout à la fois à combatre et la diférence encore plus grande de l’ortographe, et la diversité même du langage. = 5°. Il se perd, continûe le P. Buffier, quelque léger raport entre les mots dérivés l’un de l’autre, dans la nouvelle ortographe : l’inconvénient n’est pas considérable. L’ancienne ortographe elle-même y est sujette, témoin le mot priser, qui devroit, selon cette maxime, être écrit prixer, puisqu’il vient du mot prix, Quelque parti qu’on prenne, il y aura toujours quelques inconvéniens : le meilleur parti est celui où il y en a le moins. Du reste, ce qu’on a répondu à l’ancienne ortographe au sujet des étimologies, peut fort bien s’apliquer ici. = 6°. Le septième fondement de l’ancienne ortographe est peut-être le plus solide ; et pour y avoir égard, il paroit judicieux de garder l’ancienne ortographe dans tous les mots, où, sans cela, ils seroient confondus avec des mots qui ont le même son ; et qui ont cependant une signification toute diférente. C’est pourquoi, bien que les lettres doubles, qui ne se prononcent point, soient suprimées dans la nouvelle ortographe, on fait bien d’écrire encore ville (urbs) par deux l, et vile (vilis) avec une seule, quoique ces deux mots aient le même son. De même on fait bien d’écrire poids (pondus) poix (pix) et pois (cicer) quoique la prononciation en soit tout-à-fait semblable ; car leur signification étant diférente, il semble assez à propôs de la distinguer du moins aux yeux ; puisqu’on ne peut la distinguer à l’oreille. On pourrait citer d’aûtres exemples, comme, comte, compte, et conte.

Plusieurs goûteront ces raisons, aportées par le P. Bufier, en faveur de la réforme de l’Ortographe : d’autres penseront qu’elles ne sont rien moins que décisives. L’usage seul peut juger ce procês, qui a été si souvent repris et abandoné ; et il faut atendre avec patience ses arrêts. Peut être quelques particuliers entraîneront ils la foule : peut être aussi que la foule intimidera et arrêtera les particuliers ; et que de long-tems aucun des Auteurs ou des Imprimeurs, même parmi ceux, qui aprouveront la nouvelle Ortographe, n’ôsera atacher le grelot.

III. La troisième critique, qu’on nous a faite, ne regarde pas l’ortographe, mais à raport à la Prononciation. Plusieurs persones ont été surprises que nous représentions la diphtongue oy, entre deux voyèles, par oa-i, au lieu de la représenter par oi ; et qu’aux mots Citoyen, employer, moyen, Royaume, nous mettions, entre deux crochets, pour indiquer la prononciation [anploa-ié, citoa-ien, moa-ien, roa-iôme], au-lieu d’écrire, cito-ien, anplo-ié, mo-ien, ro-iôme : mais ces persones, parmi lesquelles il y en a de très habiles, n’ont pas fait réflexion à l’analogie et au génie de la Langue Française, qui done à l’y, placé entre deux voyèles, la valeur de deux i, dont l’un se lie avec la voyèle, qui précède, pour