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AVERTISSEMENT. v


prouve guère plus pour l’ancienne ortographe que pour la nouvelle ; la première écrivant beaucoup de mots d’une manière oposée à l’étimologie, témoin donner, sonner, couronne, personne, etc. où elle met deux n, au lieu que selon l’étimologie, il ne doit y en avoir qu’une, puisqu’ils viennent de donare, sonare, corona, persona ; et de même dans eslever, eslire, sousmettre, etc. adversion, obmettre etc. qui n’ont point d’s, ni de d, ni de b en latin : elevo, eligo, aversor, omitto, etc. et en beaucoup d’autres semblables. Du reste, ajoute-t’il, quoique l’écriture puisse représenter immédiatement la pensée, elle est établie néanmoins plus essentiellement pour ne la représenter que d’après la parole ; et pour être immédiatement l’image de la parole, selon l’opinion de Lucain, que son traducteur a exprimée en ces deux vers :

C’est de là que nous vient cet art ingénieux De peindre la parole et de parler aux yeux.

Il ne s’agit pas de mettre de l’étimologie dans un portrait ; mais de le rendre le plus fidèle qu’il est possible. La science des étimologies est curieuse et utile, mais elle n’est que pour les savans, qui trouveront moyen de la découvrir et d’en profiter, sans que l’ortographe, qui est pour tout le monde, en doive être embarassée. La langue Italienne et la langue Espagnole n’y ont point d’égard, bien qu’elles viennent du latin, comme la langue française. = 2°. Bien qu’on puisse établir un raport arbitraire entre les sons et toutes sortes de figures de lètres, il importe néanmoins de s’atacher au raport le plus simple et le plus facile. Outre que c’est l’ordre de la nature, c’est encore l’honeur de notre nation de rendre l’étude de notre langue la plus aisée qu’il se puisse ; au lieu d’y conserver des dificultés, qui ne servent qu’à faire admirer la bizarerie françoise. Si d’autres langues ont de semblables défauts, elles en ont moins ; et si elles n’en avoient point du tout, elles seroient parfaites. L’italienne en est parvenue presque à ce point, à force de réformer son ortographe. Il seroit d’autant plus important d’en user ainsi à l’égard de notre langue, qu’elle est plus recherchée dans l’Europe, et plus utile en tout genre de litérature. = 3°. Il est vrai que la nouvelle ortographe n’ôte point encore toutes les dificultés. Ce raisonement bien entendu irait à prouver qu’il faudrait travailler à les ôter toutes. Mais, en atendant que l’usage le permette, il faut du moins profiter de ce qu’il permet (ou de ce qu’il peut permettre sans aucun inconvénient) en faveur de la nouvelle ortographe ; ce qui diminue déjà beaucoup les dificultés de l’ancienne. = 4°. On ne méconoitra point notre langue pour des changemens aussi imperceptibles que ceux de la nouvelle ortographe : c’est toujours le P. Buffier, qui parle et j’avoûe qu’il ne poussait pas les innovations aussi loin que nous l’avons fait : quoiqu’on ait pu voir, à sa manière d’écrire certains mots, qu’il nous a prévenus sur le retranchement des doubles consones. Mais ce qu’il ajoute, que quelques Dictionaires raportant les deux ortographes, empêcheront encore davantage qu’on ne méconoisse le raport de l’une à l’autre, nous regarde spécialement, puisque les autres Dictionaires n’ont eu cette atention que pour quelques mots, et que nous l’avons étendûe à presque tous avec les restrictions dont nous avons parlé N° I Notre langue, ajoute le P. Buffier, a toujours un peu changé : c’est la fatalité atachée à notre nation : nous ne l’éviterons pas dans la suite. Tournons une fois son inconstance en un véritable avantage, en tâchant de rendre l’ortographe plus comode, plus suivie, plus uniforme, en un mot, plus propre à faire déméler et distinguer tous