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viij AVERTISSEMENT.


de l’Ab. d’Olivet presque ridicule. Il prétend que la distinction entre honête homme et homme honête, aimable homme et homme aimâble, est une distinction frivole, et qui n’a point de fondement. Selon lui, l’a est moyen dans les adjectifs terminés en al le ; c’est-à-dire, qu’il n’est ni bref ni long. Il serait fort curieux d’entendre prononcer à M. D. cet a moyen : mais peut-être n’aurions-nous pas l’oreille assez subtile pour distinguer cette nuance de prononciation. = Les Latins ont des syllabes douteuses pour la quantité, c’est à dire, qui sont longues ou brèves, suivant qu’elles sont devant des mots començant par une consone ou par une voyèle : on les apèle dans les Colèges si sequatur. Mais, dans aucune Langue, il n’y a de voyèles qui soient toujours moyènes, qui tiènent le milieu entre les longues et les brèves, en quelque position qu’elles se trouvent. = M. D. remarque qu’il y a dans notre Langue des voyèles plus ou moins longues, et nous l’avons remarqué nous-même d’après l’Ab. d’Olivet ; mais le systême des voyèles moyènes n’est pas aussi facile à comprendre.

3°. Le Journaliste de la Langue Française a une manière de peindre à l’œuil la quantité de la voyèle longue, laquelle est de son invention, et lui apartient en propre. Pour montrer le ridicule éfet que produirait la pénultième des adjectifs en able, si on la faisait longue à la fin de la phrâse, il écrit déploraable, miséraable, etc. Il est certain qu’un Acteur qui prononcerait de la sorte, serait siflé ; et le conte que fait M. D. à ce propôs, et qu’il trouve si plaisant, parceque c’est lui, qui l’a fabriqué à plaisir, viendrait assez bien à l’apui de cette suposition. Mais ce n’est point ainsi qu’on prononce les voyèles longues. Qui a jamais prononcé de cette manière ce vers latin ?

(Huumaanoo capitii ceerviiceem piictor equiinaam.)

Qui s’est avisé de prononcer teete, conqueete, tempeete ; aame, graace, au lieu de, tête, etc. âme, grâce, etc.

4°. Au mot Abdication, que je marque tout bref, le Journaliste décide que c’est une faute de Prosodie essentielle, et il ajoute que c’est une règle incontestable, que tion alonge et ouvre l’a ou l’o, qui précède, abdication, émotion ; et alonge seulement l’e, l’i et l’u ; réplétion, pétition, ablution ; et il ajoute que tion a tellement le pouvoir d’alonger les syllabes, qu’il s’étend même à celles, qui se terminent par une consone, satisfaction, atention, confection. = Il y a bien des remarques à faire sur cette décision si tranchante. = D’abord cette règle n’est rien moins qu’incontestable : elle est positivement faûsse. On ne sait où l’Auteur l’a puisée ; et c’est bien là que l’autorité de quelque Homme de lettres conu aurait été bone à citer. Il est vrai qu’en Bourgogne et en Franche-Comté, où j’ai fait, dans ma jeunesse, un assez long séjour, on prononce assez volontiers, abdicâtion, conversâtion, etc. Mais je n’ai point vu qu’on étendît cet alongement de syllabe à émôtion, réplétion, ablûtion, etc. et j’ai remarqué de plus, que les persones, qui parlaient bien, n’afectaient point cet alongement dans les mots même terminés en ation. L’Ab. d’Olivet, qui était Franc-comtois, n’a eu garde de mettre cette règle incontestable dans sa Prosodie ; et il s’était sûrement corrigé de cette prononciâtion contractée dans sa Province. = Ensuite, on peut avouer, que, dans les vers où tion est dissyllabe, et où ti est extrêmement bref, on alonge naturellement la voyèle qui précède, parce qu’il est naturel d’apuyer un peu sur la syllabe, qui précède une voyèle très-brève.


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