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iv PREFACE


cismes, etc. = Disons un mot sur chacune de ces branches de notre travail.

Ortographe.

I. L’Ortographe et la Prononciation sont deux sœurs de la même mère, et ce devrait être deux sœurs jumelles : elles auraient dû naître en même temps et avoir la plus parfaite ressemblance possible. Les sons, exprimés par la Prononciation, sont les images des idées ; et les caractères, tracés par l’Ortographe, sont les images des sons. Il devrait donc y avoir entr’eux une exacte correspondance. Il est vrai que ce sont des signes arbitraires et des images de convention ; mais, dès qu’ils ont été adoptés par l’usage, il est raisonable qu’ils gardent entr’eux les mêmes raports. Que si l’on cherche laquelle des deux sœurs doit être soumise à l’aûtre, il paraîtra évident que ce doit être l’Ortographe, dont la Prononciation est la sœur ainée ; puisque les Langues ont été parlées avant que d’être écrites ; que la Prononciation tient immédiatement aux idées et que l’Ortographe n’y tient que médiatement et par l’entremise de la prononciation. Celle-ci changeant, l’aûtre doit changer avec elle. Si elle se livre à la légèreté et à l’inconstance, ou si se piquant par caprice ou par paresse d’une constance déplacée, elle continûe à employer les mêmes caractères pour exprimer des sons, qui ont changé, la confusion succède à l’ordre, l’usage se contredit lui-même ; et le défaut de correspondance fait naître sans cesse des doutes, des contradictions et multiplie les dificultés.

Il était arbitraire sans doute et peut-être indiférent qu’on exprimât le son, qu’on a apelé e, par ce caractère simple, ou par la diphtongue ai ou oi ; mais après qu’on est convenu de représenter le son simple é par ai et le son double oa par oi, il devient déraisonable de continuer à employer le dernier, pour représenter deux sons si diférens. Il ne l’est pas moins d’employer, pour les mêmes sons, diférens caractères : nous en verrons bientôt des exemples. = Pourquoi encôre tant de consones inutiles et qui ne se prononcent point ; et qu’y a-t-il de plus embarrassant ? N’est-ce pas multiplier les êtres non seulement sans nécessité, mais encôre sans utilité et même avec le plus grand désavantage ? = Les langues des Anciens n’avaient aucun de ces inconvéniens. Quoique nous n’ayions qu’une idée fort imparfaite de la manière, dont on les prononçait, il paraît pourtant à peu près démontré que les mêmes caractères exprimaient les mêmes sons ; et qu’on n’employait dans l’ortographe aucune lettre inutile à la prononciation : tout ce qui s’écrivait, se prononçait, et l’on avait dans les caractères, tracés sur le papier, l’image fidèle des sons, que la bouche faisait entendre. = Il n’en est pas de même des langues de l’Europe, de celles même, qui ont été le plus épurées et dont les hommes de génie ont tiré le meilleur parti. A l’exception de l’Italien et de l’Espagnol, qui se raprochent un peu plus des Langues anciènes, les autres sont hérissées d’une foule de sons rudes et de caractères superflus, et demandent le plus long usage pour déméler leurs inconséquences, leurs variations, et leurs disparates. Elles se ressentent toutes du mélange des Langues barbâres du Nord avec l’anciène Langue des Indigènes et celle des Romains, les premiers conquérans de l’Europe. Ce sont des Édifices gothiques, où l’on a prodigué sans ordre les ornemens de l’Architectûre anciène. Je ne parle ici que de l’Ortographe et de la Prononciation comparées. = La Langue Française n’est pas la moins surchargée de ces ornemens inutiles et embarrassans, employés en confusion. Outre cette multitude étonante de consones, qu’on écrit et qu’on ne prononce pas, elle présente aux yeux les mêmes caractères, pour exprimer diférens sons ; et des caractères diférens, pour exprimer des sons, qui sont les mêmes. Par exemple oi sert à représenter le son de l’é ouvert dans François, Anglois, conoître, je parois, j’aimois ; je dirois, etc. etc. Et un son aprochant d’oa dans Loi, Roi, moi, Chinois, croître, etc. etc. Au contraire l’e ouvert est représenté de six manières diférentes ; par e sans accent, fer, ouvert, etc. par ê marqué de l’accent circonflexe ; tête, tempête ; etc. par è marqué de l’accent grâve, accès ; procès ; succès, etc. et par l’une ou l’aûtre de ces dipthongues, ai, ei, oi, haine, peine, je ferois, ou je ferais, etc. — L’e fermé le peut être par e non accentué, ai-