Page:Feraud - Dictionnaire critique de la langue française, T1.pdf/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PRÉFACE.

A La renaissance des Lettres, la critique a été nécessaire pour faciliter l’intelligence des Langues anciènes, et pour en faire conaître le génie et les beautés. Elle ne l’est pas moins aujourd’hui, pour contribuer à la perfection des langues modernes & pour en arrêter la décadence & la dépravation. Et parmi celles-ci, on peut dire qu’il n’en est aucune, à laquelle le secours de la critique soit plus utile, que la Langue Française, la plus délicate, la plus dificile, la plus modeste, la plus exacte, la plus énemie des licences, des innovations ; et qui est pourtant parlée et écrite par le Peuple le plus amoureux des nouveautés, et chez qui tout est mode ; la Science, la Médecine, le Langage ; la Religion même, ainsi que la parûre.

On a dit, et l’on répète tous les jours, que notre Langue a été fixée dans le dernier siècle ; et les Critiques de ce temps-là y ont autant et peut-être plus contribué que les grands Écrivains en tout genre, que ce siècle si fameux a réunis : mais elle n’est à-peu-près fixée que pour le fond et les principales règles du Discours : elle ne l’est point et ne saurait l’être pour le détail des locutions, des expressions, des tours de phrâse même. Il est une foule, non-seulement de termes & de mots, mais de manières de parler, de régimes, de constructions, en usage dans le siècle pâssé, qui sont suranés aujourd’hui ; et l’on en rencontre, plus qu’on ne pourrait penser, dans nos plus grands Écrivains et dans ceux là même, qu’on regarde comme classiques. D’aûtre part, il y a un grand nombre de mots nouveaux, de nouveaux tours de phrâse, de nouvelles expressions, que l’usage a introduits, qui étaient inconnus au siècle précédent et qu’on y aurait peut-être traités de barbarismes et de méprisables nouveautés. = Ajoutez-y l’Ortographe des mots comuns aux deux siècles, ou des analogues, sur laquelle on peut dire, qu’on n’a jamais eu de principes bien assurés, sur laquelle on n’en a pas même encôre de bien constans, et qui a toujours été la partie la plus négligée.

Ces variations de l’Usage, constatées par les variantes des Dictionaires les plus estimés, et même du Dictionaire de l’ Académie, dans ses diverses Éditions ; l’incertitude et l’insufisance des Règles ; les diverses opinions des Gramairiens et des Critiques ; les diférentes pratiques des Auteurs et des Imprimeurs, font naître tous les jours des doutes et des dificultés. Et il n’est persone, parmi ceux, qui ont voulu étudier leur Langue avec quelque soin, qui n’ait reconu et éprouvé l’insufisance des moyens et des ressources en ce genre.

Il en est de trois espèces ; les Gramaires et les Règles générales ; les Exemples, qu’on trouve dans les Dictionaires, et les Recueuils de Remarques et d’Observations critiques sur la Langue. = Les Règles sont en trop petit nombre, souvent obscûres, toujours dificiles à comprendre, plus dificiles encôre à retenir ; et encôre plus mal-aisées à apliquer aux câs particuliers. Qui peut se flater de les conaître toutes ? Qui peut en charger sa mémoire et compter sur sa fidélité ? Et pour supléer à son défaut, que de Livres ne faut-il pas parcourir ? A quels endroits de ces Livres faut-il les chercher ? Les dificultés dégoûtent ; et l’on abandone des recherches pénibles et qu’on a souvent éprouvé être infructueûses. = Les Exemples, qu’on troûve dans les Dictionaires sont de deux sortes : les uns ont été puisés dans les Auteurs ; les aûtres ont été composés à plaisir par les Lexicographes. L’Académie a préféré cette dernière méthode,