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xiv PREFACE


de ce sentiment. === Je ne sais donc si un travail assidu, dans le silence du Cabinet, la défiance de soi-même, qui empêche de précipiter son jugement, l’art de savoir douter, la réflexion, qui creûse, qui aprofondit, qui combine, qui compâre l’usage avec les principes, qui, dans le partage des opinions et des pratiques, se décide par le génie et l’analogie de la Langue, ne peûvent pas remplacer avantageûsement un séjour de quelques années dans la Capitale, où les Auteurs sont aujourd’hui trop dissipés et trop répandus pour doner beaucoup de temps à l’étude et à la réflexion. === Si tout cela peut inspirer quelque confiance, nous ôsons dire que nous la méritons. Outre le travail et les soins qu’avait exigé le Dictionaire Gramatical ; depuis vingt ans que la seconde Édition a paru, nous n’avons cessé de travailler à l’Ouvrage que nous mettons au jour. Nous aurions pu le faire paraître plutôt, et nous avions amâssé un assez grand nombre d’Observations et de Remarques pour le doner au Public, il y a dix ans ! mais nous avons voulu laisser asseoir et murir nos idées. Ce retard, que la prudence nous prescrivait, a contribué à étendre l’utilité de cet Ouvrage par un plus grand nombre d’utiles réflexions et d’articles importans. === Il nous a procuré aussi des secours précieux dans les soins et les bontés d’un Homme de Lettres, fort conu et fort estimé dans le monde Litéraire, et par ses Ouvrages, et par les emplois, qu’il a remplis dans la Capitale, tous relatifs à la Litératûre ([1]). Il a revu ce Dictionaire, non avec l’insouciance d’un Censeur négligent, mais avec l’atention d’un Homme de Lettres, zélé pour l’utilité publique. Il a bien voulu nous communiquer des Observations intéressantes ; et nous avons puisé dans ses Ouvrages ([2]) des exemples aussi instructifs que piquans.

2o. Je me suis toujours atendu que l’article de l’Ortographe serait celui, qui atirerait le plus de critiques. Quoique tout le monde ne soit pas juge en ce genre, tout le monde se croit en droit d’en faire les fonctions ; et rien de plus facile. Il ne faut, pour cela, que des yeux et un peu de lectûre. Aussi nous avons déjà essuyé, et de vive voix et par écrit des représentations et des remontrances de plusieurs persones, qui se disent nos amis, et qui paraissent s’intéresser au succès de notre Ouvrage. Mais ils ne sont pas d’acord dans leurs Critiques. Les uns condamnent toutes les tentatives en ce genre : les aûtres se partagent. Il en est, qui ne disent rien de la supression des doubles consones, et qui s’élèvent avec force contre l’adoption de l’Ortographe de Voltaire (ai pour oi), il en est d’aûtres, qui disent qu’on me pardonera cette manière d’ortographier ; mais qu’on ne me pardonera pas le retranchement d’une des doubles consones dans un si grand nombre de mots. Celui-là prétend que, quoiqu’on ne les prononce pas, il faut les conserver : celui-ci soutient que je les retranche mal-à-propôs dans des mots où elles se prononcent. L’un attaque la Prosodie, et ne sait peut-être pas que ses traits tombent sur M. l’Abbé d’Olivet, qui me sert de guide : l’aûtre m’invite à prendre pour modèle le Dictionaire d’Ortographe, comme si j’ignorais que ce Dictionaire existe. Un de ces Critiques m’aprend sérieusement qu’il y a trois cens mille Volumes, dont l’Ortographe est diférente de celle que je veux introduire. Il m’aprend que toute innovation est répréhensible, du moment qu’elle ne présente pas un avantage bien important, comme si j’avais embrassé une nouvelle Ortographe, sans en balancer les avantages et les inconveniens. En remerciant tous ces Messieurs, tant ceux, qui ont gardé l’anonyme, que ceux qui se sont només, je-les prie de vouloir lire et peser avec attention ce que je dis dans cette Préface, à l’article

  1. (*) M. Marin, de plusieurs Académies, long-temps Censeur-Royal ; Censeur de la Police et des Théâtres ; Secrétaire-Général de la Librairie de France ; aujourd’hui Lieutenant-Général en l’Amirauté de la Ciotat. Inspecteur, de la Librairie de Provence.
  2. (**) L’Histoire de Saladin, fort estimée des Savans et des Gens de Lettres ; l’Homme aimable, ouvrage de mœurs et de caractères, qui n’a d’aûtre défaut que d’être trop court ; un Théatre, qui renferme cinq pièces, qui font beaucoup de plaisir à la lectûre ; l’Histoire de la Ciotat, qui est un modèle de la manière de traiter l’Histoire des petites Villes. Mémoire sur l’anciène ville de Tauroentum, etc.