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TÉLÉMAQUE.

les hommes entraînés par le plaisir des sens et par le charme de l’imagination. Il n’y a point sur la terre de véritables hommes, excepté ceux qui consultent, qui aiment, qui suivent cette raison éternelle : c’est elle qui nous inspire, quand nous pensons bien ; c’est elle qui nous reprend, quand nous pensons mal. Nous ne tenons pas moins d’elle la raison que la vie. Elle est comme un grand océan de lumière ; nos esprits sont comme de petits ruisseaux qui en sortent, et qui y retournent pour s’y perdre.

Quoique je ne comprisse point encore parfaitement la profonde sagesse de ces discours, je ne laissais pas d’y goûter je ne sais quoi de pur et de sublime : mon cœur en était échauffé ; et la vérité me semblait reluire dans toutes ces paroles. Ils continuèrent à parler de l’origine des dieux, des héros, des poètes, de l’âge d’or, du déluge, des premières histoires du genre humain, du fleuve d’oubli où se plongent les âmes des morts, des peines éternelles préparées aux impies dans le gouffre noir du Tartare, et de cette heureuse paix dont jouissent les justes dans les Champs-Élysées, sans crainte de pouvoir la perdre.

Pendant qu’Hasaël et Mentor parlaient, nous aperçûmes des dauphins couverts d’une écaille qui paraissait d’or et d’azur. En se jouant, ils soulevaient les flots avec beaucoup d’écume. Après eux venaient des Tritons, qui sonnaient de la trompette avec leurs conques recourbées. Ils environnaient le char d’Amphitrite, traîné par des chevaux marins plus blancs que la neige, et qui, fendant l’onde salée, laissaient loin derrière eux un vaste sillon dans la mer. Leurs yeux étaient enflammés, et leurs bouches étaient fumantes. Le char de la déesse était une conque d’une merveilleuse figure ; elle était d’une blancheur plus éclatante que l’ivoire, et les roues étaient d’or. Ce