Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
TÉLÉMAQUE.

poison flatteur qui se glissait de veine en veine, et qui pénétrait jusqu’à la moelle de mes os. Je poussais néanmoins encore de profonds soupirs, je versais des larmes amères ; je rugissais comme un lion dans ma fureur. Ô malheureuse jeunesse, disais-je ; ô dieux, qui vous jouez cruellement des hommes, pourquoi les faites-vous passer par cet âge, qui est un temps de folie et de fièvre ardente ! Oh que ne suis-je couvert de cheveux blancs, courbé et proche du tombeau, comme Laërte mon aïeul ! La mort me serait plus douce que la faiblesse honteuse où je me vois.

À peine avais-je ainsi parlé que ma douleur s’adoucissait, et que mon cœur, enivré d’une folle passion, secouait presque toute pudeur ; puis je me voyais replongé dans un abîme de remords. Pendant ce trouble, je courais çà et là dans le sacré bocage, semblable à une biche qu’un chasseur a blessée ; elle court au travers des vastes forêts pour soulager sa douleur ; mais la flèche qui l’a percée dans le flanc la suit partout ; elle porte partout avec elle le trait meurtrier. Ainsi je courais en vain pour m’oublier moi-même, et rien n’adoucissait la plaie de mon cœur.

En ce moment, j’aperçus assez loin de moi, dans l’ombre épaisse de ce bois, la figure du sage Mentor ; mais son visage me parut si pâle, si triste et si austère, que je ne pus en ressentir aucune joie. Est-ce donc vous, m’écriai-je, ô mon cher ami, mon unique espérance ? est-ce vous ? Quoi donc ! est-ce vous-même ? une image trompeuse ne vient-elle point abuser mes yeux ? est-ce vous, Mentor ? n’est-ce point votre ombre, encore sensible à mes maux ? N’êtes-vous point au rang des âmes heureuses qui jouissent de leur vertu, et à qui les dieux donnent des plaisirs purs