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TÉLÉMAQUE.

dustrie vous ont tiré : par là vous n’avez fait qu’enflammer davantage son cœur et que vous préparer une plus dangereuse captivité. Comment espérez-vous qu’elle vous laisse maintenant sortir de son île, vous qui l’avez enchantée par le récit de vos aventures ? L’amour d’une vaine gloire vous a fait parler sans prudence. Elle s’était engagée à vous raconter des histoires et à vous apprendre quelle a été la destinée d’Ulysse ; elle a trouvé moyen de parler longtemps sans rien dire, et elle vous a engagé à lui expliquer tout ce qu’elle désire savoir : tel est l’art des femmes flatteuses et passionnées. Quand est-ce, ô Télémaque, que vous serez assez sage pour ne parler jamais par vanité, et que vous saurez taire tout ce qui vous est avantageux, quand il n’est pas utile à dire ? Les autres admirent votre sagesse dans un âge où il est pardonnable d’en manquer ; pour moi, je ne puis vous pardonner rien : je suis le seul qui vous connaît, et qui vous aime assez pour vous avertir de toutes vos fautes. Combien êtes-vous encore éloigné de la sagesse de votre père !

Quoi donc ! répondit Télémaque, pouvais-je refuser à Calypso de lui raconter mes malheurs ? Non, reprit Mentor, il fallait les lui raconter : mais vous deviez le faire en ne lui disant que ce qui pouvait lui donner de la compassion. Vous pouviez dire que vous aviez été tantôt errant, tantôt captif en Sicile, puis en Égypte. C’était lui dire assez ; et tout le reste n’a servi qu’à augmenter le poison qui brûle déjà son cœur. Plaise aux dieux que le vôtre puisse s’en préserver ! Mais que ferai-je donc ? continua Télémaque, d’un ton modéré et docile. Il n’est plus temps repartit Mentor, de lui cacher ce qui reste de vos aventures : elle en sait assez pour ne pouvoir être trompée sur ce qu’elle ne sait pas encore ; votre réserve ne servirait qu’à l’ir-