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TÉLÉMAQUE.

chon, quoique connu pour Lydien dans toute la ville, passa pour le jeune étranger que Narbal avait emmené d’Égypte : il fut mis en prison.

Astarbé, qui craignit que Narbal n’allât parler au roi, et ne découvrit son imposture, envoyait en diligence à Narbal cet officier, qui lui dit ces paroles : Astarbé vous défend de découvrir au roi quel est votre étranger ; elle ne vous demande que le silence, et elle saura bien faire en sorte que le roi soit content de vous : cependant hâtez-vous de faire embarquer avec les Chypriens le jeune étranger que vous avez emmené d’Égypte, afin qu’on ne le voie plus dans la ville. Narbal, ravi de pouvoir ainsi sauver sa vie et la mienne, promit de se taire ; et l’officier, satisfait d’avoir obtenu ce qu’il demandait, s’en retourna rendre compte à Astarbé de sa commission.

Narbal et moi, nous admirâmes la bonté des dieux, qui récompensaient notre sincérité et qui ont un soin si touchant de ceux qui hasardent tout pour la vertu. Nous regardions avec horreur un roi livré à l’avarice et à la volupté. Celui qui craint avec tant d’excès d’être trompé, disions-nous, mérite de l’être, et l’est presque toujours grossièrement. Il se défie des gens de bien, et il s’abandonne à des scélérats : il est le seul qui ignore ce qui se passe. Voyez Pygmalion ; il est le jouet d’une femme sans pudeur. Cependant les dieux se servent du mensonge des méchants pour sauver les bons qui aiment mieux perdre la vie que de mentir.

En même temps nous aperçûmes que les vents changeaient, et qu’ils devenaient favorables aux vaisseaux de Chypre. Les dieux se déclarent, s’écria Narbal ; ils veulent, mon cher Télémaque, vous mettre en sûreté : fuyez cette terre cruelle et maudite ! Heureux qui pourrait vous