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tent. Ses enfants, loin d’être son espérance, sont le sujet de sa terreur : il en a fait ses plus dangereux ennemis. Il n’a eu toute sa vie aucun moment d’assuré ; il ne se conserve qu’à force de répandre le sang de tous ceux qu’il craint. Insensé, qui ne voit pas que sa cruauté, à laquelle il se confie, le fera périr ! Quelqu’un de ses domestiques, aussi défiant que lui, se hâtera de délivrer le monde de ce monstre.

Pour moi, je crains les dieux : quoi qu’il m’en coûte, je serai fidèle au roi qu’ils m’ont donné : j’aimerais mieux qu’il me fit mourir, que de lui ôter la vie, et même que de manquer à le défendre. Pour vous, ô Télémaque, gardez-vous bien de lui dire que vous êtes le fils d’Ulysse : il espérerait qu’Ulysse, retournant à Ithaque, lui payerait quelque grande somme pour vous racheter, et il vous tiendrait en prison.

Quand nous arrivâmes à Tyr, je suivis le conseil de Narbal, et je reconnus la vérité de tout ce qu’il m’avait raconté. Je ne pouvais comprendre qu’un homme pût se rendre aussi misérable que Pygmalion me le paraissait. Surpris d’un spectacle si affreux et si nouveau pour moi, je disais en moi-même : Voilà un homme qui n’a cherché qu’à se rendre heureux : il a cru y parvenir par les richesses et par une autorité absolue : il possède tout ce qu’il peut désirer ; et cependant il est misérable par ses richesses et par son autorité même. S’il était berger, comme je l’étais naguère, il serait aussi heureux que je l’ai été ; il jouirait des plaisirs innocents de la campagne, et en jouirait sans remords ; il ne craindrait ni le fer ni le poison ; il aimerait les hommes, il en serait aimé : il n’aurait point ces grandes richesses, qui lui sont aussi inutiles que du sable, puisqu’il n’ose y toucher ; mais il jouirait librement des