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FABLES.

enfants de vos enfants jusqu’à la cinquième génération ! puissent les dieux conserver toute votre maison dans la paix et dans l’abondance, pour fruit de votre vertu !

Pendant qu’Aristonoüs parlait ainsi, Sophronyme versait des larmes mêlées de joie et de douleur. Enfin il se jette sans pouvoir parler au cou du vieillard ; il l’embrasse, il le serre, et il pousse avec peine ces paroles entrecoupées de soupirs : Je suis, ô mon père, celui que vous cherchez : vous voyez Sophronyme, petit-fils de votre ami Alcine : c’est moi ; et je ne puis douter, en vous écoutant, que les dieux ne vous aient envoyé ici pour adoucir mes maux. La reconnaissance, qui semblait perdue sur la terre, se retrouve en vous seul. J’avais ouï dire, dans mon enfance, qu’un homme célèbre et riche, établi en Lycaonie, avait été nourri chez mon grand-père ; mais comme Orciloque mon père, qui est mort jeune, me laissa au berceau, je n’ai su ces choses que confusément. Je n’ai osé aller en Lycaonie dans l’incertitude, et j’ai mieux aimé demeurer dans cette île, me consolant dans mes malheurs par le mépris des vaines richesses, et par le doux emploi de cultiver les Muses dans la maison sacrée d’Apollon. La sagesse, qui accoutume les hommes à se passer de peu et à être tranquilles, m’a tenu lieu jusqu’ici de tous les autres biens.

En achevant ces paroles, Sophronyme, se voyant arrivé au temple, proposa à Aristonoüs d’y faire sa prière et ses offrandes. Ils firent au dieu un sacrifice de deux brebis plus blanches que la neige, et d’un taureau qui avait un croissant sur le front entre les deux cornes : ensuite ils chantèrent des vers en l’honneur du dieu qui éclaire l’univers, qui règle les saisons, qui préside aux sciences, et qui anime le chœur des neuf Muses. Au sortir du temple, Sophronyme et Aristonoüs passèrent le reste du jour à se raconter leurs aventures. Sophronyme reçut chez lui le vieillard, avec la tendresse et le respect qu’il aurait témoignés à Alcine même, s’il eût été encore vivant. Le lendemain ils partirent ensemble, et firent voile vers la Lycie. Aristonoüs mena Sophronyme dans une fertile