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FABLES.

n’existiez pas avant moi. Comme vous, je descends de hautes montagnes, je parcours de vastes pays, je reçois le tribut de beaucoup de rivières, je me rends par plusieurs bouches dans le sein des mers, et je fertilise les plaines que j’inonde. Si je voulais, à votre exemple, donner dans le merveilleux, je dirais, avec les Indiens, que je descends du ciel et que mes eaux bienfaisantes ne sont pas moins salutaires à l’âme qu’au corps. Mais ce n’est pas devant le dieu des fleuves et des mers qu’il faut se prévaloir de ces prétentions chimériques. Créé cependant quand le monde sortit du chaos, plusieurs écrivains me font naître dans le jardin de délices qui fut le séjour du premier homme. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que j’arrose encore plus de royaumes que vous ; c’est que je parcours des terres aussi riantes et aussi fécondes ; c’est que je roule cette poudre d’or si recherchée, et peut-être si funeste au bonheur des hommes ; c’est qu’on trouve sur mes bords des perles, des diamants, et tout ce qui sert à l’ornement des temples et des mortels ; c’est qu’on voit sur mes rives des édifices superbes, et qu’on y célèbre de longues et magnifiques fêtes. Les Indiens, comme les Égyptiens, ont aussi leurs antiquités, leurs métamorphoses, leurs fables ; mais ce qu’ils ont plus qu’eux, ce sont d’illustres gymnosophistes, des philosophes éclairés. Qui de vos prêtres si renommés pourriez-vous comparer au fameux Pilpay ? Il a enseigné aux princes les principes de la morale et l’art de gouverner avec justice et bonté. Ses apologues ingénieux ont rendu son nom immortel ! on les lit, mais on n’en profite guère dans les États que j’enrichis : et ce qui fait notre honte à tous les deux, c’est que nous ne voyons sur nos bords que des princes malheureux, parce qu’ils n’aiment que les plaisirs et une autorité sans bornes ; c’est que nous ne voyons dans les plus belles contrées du monde que des peuples misérables, parce qu’ils sont presque tous esclaves, presque tous victimes des volontés arbitraires et de la cupidité insatiable des maîtres qui les gouvernent, ou plutôt qui les écrasent. À quoi me servent