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FABLES.

maque se met dans le char du roi. Il demeure invisible : il pousse les lions, le char vole. On eût cru que c’était celui d’Achille, traîné par des coursiers immortels ; ou celui de Phébus même, lorsqu’après avoir parcouru la voûte immense des cieux, il précipite ses chevaux enflammés dans le sein des ondes. D’abord on crut que les lions, s’étant échappés, s’enfuyaient au hasard : mais bientôt on reconnut qu’ils étaient guidés avec beaucoup d’art, et que cette course surpasserait toutes les autres. Cependant le char paraissait vide, et tout le monde demeurait immobile d’étonnement. Enfin la course est achevée, et le prix remporté, sans qu’on puisse comprendre par qui. Les uns croient que c’est une divinité qui se joue des hommes ; les autres assurent que c’est un homme nommé Orodes, venu de Perse, qui avait l’art des enchantements, qui évoquait les ombres des enfers, qui tenait dans ses mains toute la puissance d’Hécate, qui envoyait à son gré la Discorde et les Furies dans l’âme de ses ennemis, qui faisait entendre la nuit les hurlements de Cerbère et les gémissements profonds de l’Érèbe, enfin qui pouvait éclipser la lune, et la faire descendre du ciel sur la terre. Crésus crut qu’Orodes avait mené le char ; il le fit appeler. On le trouva qui tenait dans son sein des serpents entortillés, et qui, prononçant entre ses dents des paroles inconnues et mystérieuses, conjurait les divinités infernales. Il n’en fallut pas davantage pour persuader qu’il était le vainqueur invisible de cette course. Il assura que non ; mais le roi ne put le croire. Callimaque était ennemi d’Orodes, parce que celui-ci avait prédit à Crésus que ce jeune homme lui causerait un jour de grands embarras, et serait la cause de la ruine entière de son royaume. Cette prédiction avait obligé Crésus à tenir Callimaque loin du monde dans un désert, et réduit à une grande pauvreté. Callimaque sentit le plaisir de la vengeance, et fut bien aise de voir l’embarras de son ennemi. Crésus pressa Orodes, et ne put pas l’obliger à dire qu’il avait couru pour le prix. Mais comme le roi le menaça de le punir, ses amis lui conseillèrent d’avouer la chose, et de