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TÉLÉMAQUE.

cueillir le fruit avant qu’il soit mûr ; il brise les portes, plutôt que d’attendre qu’on les lui ouvre : il veut moissonner quand le sage laboureur sème ; tout ce qu’il fait à la hâte et à contre-temps est mal fait et ne peut avoir de durée, non plus que ses désirs volages. Tels sont les projets insensés d’un homme qui croit pouvoir tout, et qui se livre à ses désirs impatients pour abuser de sa puissance. C’est pour vous apprendre à être patient, mon cher Télémaque, que les dieux exercent tant votre patience, et semblent se jouer de vous dans la vie errante où ils vous tiennent toujours incertain. Les biens que vous espérez se montrent à vous, et s’enfuient comme un songe léger que le réveil fait disparaître, pour vous apprendre que les choses mêmes qu’on croit tenir dans ses mains échappent dans l’instant. Les plus sages leçons d’Ulysse ne vous seront pas aussi utiles que sa longue absence, et que les peines que vous souffrez en le cherchant.

Ensuite Mentor voulut mettre la patience de Télémaque à une dernière épreuve encore plus forte. Dans le moment où le jeune homme allait avec ardeur presser les matelots pour hâter le départ, Mentor l’arrêta tout à coup, et l’engagea à faire sur le rivage un grand sacrifice à Minerve. Télémaque fait avec docilité ce que Mentor veut. On dresse deux autels de gazon. L’encens fume, le sang des victimes coule. Télémaque pousse des soupirs tendres vers le ciel ; il reconnaît la puissante protection de la déesse.

À peine le sacrifice est-il achevé, qu’il suit Mentor dans les routes sombres d’un petit bois voisin. Là il aperçoit tout à coup que le visage de son ami prend une nouvelle forme : les rides de son front s’effacent, comme les ombres disparaissent, quand l’Aurore, de ses doigts de rose,