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TÉLÉMAQUE.

les blanchissant de leur écume. Dans ce moment, le vieillard dit à Télémaque : Il faut que je parte ; mes compagnons ne peuvent m’attendre. En disant ces mots, il court au rivage : on s’embarque ; on n’entend que cris confus sur ce rivage, par l’ardeur des mariniers impatients de partir.

Cet inconnu, qu’on nommait Cléomènes, avait erré quelque temps dans le milieu de l’île, montant sur le sommet de tous les rochers, et considérant de là les espaces immenses des mers avec une tristesse profonde. Télémaque ne l’avait point perdu de vue, et il ne cessait d’observer ses pas. Son cœur était attendri pour un homme vertueux, errant, malheureux, destiné aux plus grandes choses, et servant de jouet à une rigoureuse fortune, loin de sa patrie. Au moins, disait-il en lui-même, peut-être reverrai-je Ithaque ; mais ce Cléomènes ne peut jamais revoir la Phrygie. L’exemple d’un homme encore plus malheureux que lui adoucissait la peine de Télémaque. Enfin cet homme, voyant son vaisseau prêt, était descendu de ces rochers escarpés avec autant de vitesse et d’agilité, qu’Apollon dans les forêts de Lycie, ayant noué ses cheveux blonds, passe au travers des précipices pour aller percer de ses flèches les cerfs et les sangliers. Déjà cet inconnu est dans le vaisseau, qui fend l’onde amère, et qui s’éloigne de la terre. Alors une impression secrète de douleur saisît le cœur de Télémaque ; il s’afflige sans savoir pourquoi ; les larmes coulent de ses yeux, et rien ne lui est si doux que de pleurer.

En même temps, il aperçoit sur le rivage tous les mariniers de Salente, couchés sur l’herbe et profondément endormis. Ils étaient las et abattus : le doux sommeil s’était insinué dans leurs membres ; et tous les humides pavots de la nuit avaient été répandus sur eux en plein jour par la