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TÉLÉMAQUE.

draste, et vous craignez la tristesse d’Idoménée. Voilà ce qui déshonore les princes qui ont fait les plus grandes actions : après avoir paru des héros dans la guerre, ils se montrent les derniers des hommes dans les occasions communes, où d’autres se soutiennent avec vigueur.

Télémaque, sentant la vérité de ces paroles, et piqué de ce reproche, partit brusquement sans s’écouter lui-même. Mais à peine commença-t-il à paraître dans le lieu où Idoménée était assis, les yeux baissés, languissant et abattu de tristesse, qu’ils se craignirent l’un l’autre ; ils n’osaient se regarder ; ils s’entendaient sans se rien dire, et chacun craignait que l’autre ne rompît le silence : ils se mirent tous deux à pleurer. Enfin Idoménée, pressé d’un excès de douleur, s’écria : À quoi sert de rechercher la vertu, si elle récompense si mal ceux qui l’aiment ? Après m’avoir montré ma faiblesse, on m’abandonne ! eh bien ! je vais retomber dans tous mes malheurs : qu’on ne me parle plus de bien gouverner ; non, je ne puis le faire ; je suis las des hommes. Où voulez-vous aller, Télémaque ? Votre père n’est plus ; vous le cherchez inutilement Ithaque est en proie à vos ennemis ; ils vous feront périr, si vous y retournez. Demeurez ici ; vous serez mon gendre et mon héritier : vous régnerez après moi. Pendant ma vie même, vous aurez ici un pouvoir absolu ; ma confiance en vous sera sans bornes. Que si vous êtes insensible à tous ces avantages, du moins laissez-moi Mentor, qui est toute ma ressource. Parlez ; répondez-moi : n’endurcissez pas votre cœur ; ayez pitié du plus malheureux de tous les hommes. Quoi ! vous ne dites rien ! Ah ! je comprends combien les dieux me sont cruels ; je le sens encore plus rigoureusement qu’en Crète, lorsque je perçai mon propre fils.