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TÉLÉMAQUE.

je ne le connais plus, ni lui ni son peuple. J’avoue même que ce que vous avez fait ici est infiniment plus grand que les victoires que nous venons de remporter. Le hasard et la force ont beaucoup de part aux succès de la guerre, il faut que nous partagions la gloire des combats avec nos soldats : mais tout votre ouvrage vient d’une seule tête ; il a fallu que vous ayez travaillé seul contre un roi et contre tout son peuple, pour les corriger. Les succès de la guerre sont toujours funeste et odieux : ici tout est l’ouvrage d’une sagesse céleste ; tout est doux, tout est pur, tout est aimable ; tout marque une autorité qui est au-dessus de l’homme. Quand les hommes veulent de la gloire, que ne la cherchent-ils dans cette application à faire du bien ? Oh ! qu’ils s’entendent mal en gloire, d’en espérer une solide en ravageant la terre, et en répandant le sang humain !

Mentor montra sur son visage une joie sensible de voir Télémaque si désabusé des victoires et des conquêtes, dans un âge où il était si naturel qu’il fût enivré de la gloire qu’il avait acquise.

Ensuite Mentor ajouta : Il est vrai que tout ce que vous voyez ici est bon et louable ; mais sachez qu’on pourrait faire des choses encore meilleures. Idoménée modère ses passions, et s’applique à gouverner son peuple avec justice ; mais il ne laisse pas de faire encore bien des fautes, qui sont des suites malheureuses de ses fautes anciennes. Quand les hommes veulent quitter le mal, le mal semble encore les poursuivre longtemps : il leur reste de mauvaises habitudes, un naturel affaibli, des erreurs invétérées, et des préventions presque incurables. Heureux ceux qui ne se sont jamais égarés ! ils peuvent faire le bien plus parfaitement. Les dieux, ô Télémaque, vous demanderont plus qu’à Idoménée, parce que vous avez connu la