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LIVRE ii.

la sagesse du malheureux Ulysse : tout mon plaisir est de secourir la vertu malheureuse.

L’officier auquel le roi renvoya l’examen de notre affaire avait l’âme aussi corrompue et aussi artificieuse que Sésostris était sincère et généreux. Cet officier se nommait Métophis ; il nous interrogea pour tâcher de nous surprendre ; et, comme il vit que Mentor répondait avec plus de sagesse que moi, il le regarda avec aversion et avec défiance : car les méchants s’irritent contre les bons. Il nous sépara, et, depuis ce moment, je ne sus point ce qu’était devenu Mentor. Cette séparation fut un coup de foudre pour moi. Métophis espérait toujours qu’en nous questionnant séparément il pourrait nous faire dire des choses contraires : surtout il croyait m’éblouir par ses promesses flatteuses, et me faire avouer ce que Mentor lui aurait caché. Enfin il ne cherchait pas de bonne foi la vérité ; mais il voulait trouver quelque prétexte de dire au roi que nous étions des Phéniciens, pour nous faire ses esclaves. En effet, malgré notre innocence et malgré la sagesse du roi, il trouva le moyen de le tromper.

Hélas ! à quoi les rois sont-ils exposés, les plus sages mêmes sont souvent surpris. Des hommes artificieux et intéressés les environnent. Les bons se retirent, parce qu’ils ne sont ni empressés ni flatteurs ; les bons attendent qu’on les cherche, et les princes ne savent guère les aller chercher : au contraire, les méchants sont hardis, trompeurs, empressés à s’insinuer et à plaire, adroits à dissimuler, prêts à tout faire contre l’honneur et la conscience pour contenter les passions de celui qui règne. Ô qu’un roi est malheureux d’être exposé aux artifices des méchants ! Il est perdu s’il ne repousse la flatterie, et s’il