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TÉLÉMAQUE.

l’essaya inutilement : cette ombre vaine échappa à ses embrassements, comme un songe trompeur se dérobe à l’homme qui croit en jouir. Tantôt la bouche altérée de cet homme dormant poursuit une eau fugitive ; tantôt ses lèvres s’agitent pour former des paroles que sa langue engourdie ne peut proférer ; ses mains s’étendent avec effort, et ne prennent rien : ainsi Télémaque ne peut contenter sa tendresse ; il voit Arcésius, il l’entend, il lui parle, il ne peut le toucher. Enfin il lui demande qui sont ces hommes, qu’il voit autour de lui.

Tu vois, mon fils, lui répondit le sage vieillard, les hommes qui ont été l’ornement de leurs siècles, la gloire et le bonheur du genre humain. Tu vois le petit nombre de rois qui ont été dignes de l’être, et qui ont fait avec fidélité la fonction des dieux sur la terre. Ces autres que tu vois assez près d’eux, mais séparés par ce petit nuage, ont une gloire beaucoup moindre : ce sont des héros à la vérité ; mais la récompense de leur valeur et de leurs expéditions militaires ne peut être comparée avec celle des rois sages, justes et bienfaisants.

Parmi ces héros, tu vois Thésée, qui a le visage un peu triste : il a ressenti le malheur d’être trop crédule pour une femme artificieuse, et il est encore affligé d’avoir si injustement demandé à Neptune la mort cruelle de son fils Hippolyte : heureux s’il n’eût point été si prompt et si facile à irriter ! Tu vois aussi Achille appuyé sur sa lance, à cause de cette blessure qu’il reçut au talon, de la main du lâche Pâris, et qui finit sa vie. S’il eût été aussi sage, juste et modéré, qu’il était intrépide, les dieux lui auraient accordé un long règne ; mais ils ont eu pitié des Phthiotes et des Dolopes, sur lesquels il devait naturellement régner après Pélée : ils n’ont pas voulu livrer tant de peuples à la