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TÉLÉMAQUE.

leurs propres mains, avec des couronnes que rien ne peut flétrir.

Télémaque, qui cherchait son père, et qui avait craint de le trouver dans ces beaux lieux, fut si saisi de ce goût de paix et de félicité, qu’il eût voulu y trouver Ulysse, et qu’il s’affligeait d’être contraint lui-même de retourner ensuite dans la société des mortels. C’est ici, disait-il, que la véritable vie se trouve, et la nôtre n’est qu’une mort. Mais ce qui l’étonnait était d’avoir vu tant de rois punis dans le Tartare, et d’en voir si peu dans les Champs-Élysées. Il comprit qu’il y a peu de rois assez fermes et assez courageux pour résister à leur propre puissance, et pour rejeter la flatterie de tant de gens qui excitent toutes leurs passions. Ainsi, les bons rois sont très-rares ; et la plupart sont si méchants, que les dieux ne seraient pas justes, si, après avoir souffert qu’ils aient abusé de leur puissance pendant la vie, ils ne les punissaient après leur mort.

Télémaque, ne voyant point son père Ulysse parmi tous ces rois, chercha du moins des yeux le divin Laërte, son grand-père. Pendant qu’il le cherchait inutilement, un vieillard vénérable et plein de majesté s’avança vers lui. Sa vieillesse ne ressemblait point à celle des hommes que le poids des années accable sur ta terre ; on voyait seulement qu’il avait été vieux avant sa mort : c’était un mélange de tout ce que la vieillesse a de grave, avec toutes les grâces de la jeunesse ; car ces grâces renaissent même dans les vieillards les plus caducs, au moment où ils sont introduits dans les Champs-Élysées. Cet homme s’avançait avec empressement, et regardait Télémaque avec complaisance, comme une personne qui lui était fort chère.