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TÉLÉMAQUE.

en eux une source intarissable de paix et de joie : ils sont plongés dans cet abîme de joie, comme les poissons dans la mer. Ils ne veulent plus rien ; ils ont tout sans rien avoir, car ce goût de lumière pure apaise la faim de leur cœur ; tous leurs désirs sont rassasiés, et leur plénitude les élève au-dessus de tout ce que les hommes vides et affamés cherchent sur la terre : toutes les délices qui les environnent ne leur sont rien, parce que le comble de leur félicité, qui vient du dedans, ne leur laisse aucun sentiment pour tout ce qu’ils voient de délicieux au dehors. Ils sont tels que les dieux, qui, rassasiés de nectar et d’ambroisie y ne daigneraient par se nourrir des viandes grossières qu’on leur présenterait à la table la plus exquise des hommes mortels. Tous les maux s’enfuient loin de ces lieux tranquilles : la mort, la maladie, la pauvreté, la douleur, les regrets, les remords, les craintes, les espérances même, qui coûtent souvent autant de peines que les craintes ; les divisions, les dégoûts, les dépits ne peuvent y avoir aucune entrée.

Les hautes montagnes de Thrace, qui, de leur front couvert de neige et de glace depuis l’origine du monde, fendent les nues, seraient renversées de leurs fondements posés au centre de la terre, que les cœurs de ces hommes justes ne pourraient pas même être émus. Seulement ils ont pitié des misères qui accablent les hommes vivant dans le monde ; mais c’est une pitié douce et paisible qui n’altère en rien leur immuable félicité. Une jeunesse éternelle, une félicité sans fin, une gloire toute divine est peinte sur leurs visages : mais leur joie n’a rien de folâtre ni d’indécent ; c’est une joie douce, noble, pleine de majesté ; c’est un goût sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte. Ils sont, sans interruption, à chaque moment, dans le même saisissement de cœur où est une mère qui