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LIVRE xi.

Crète ? Mais quelle apparence qu’il vienne dans une île si éloignée ? Ne serait-ce point son ombre qui viendrait après sa mort des rives du Styx ? Pendant qu’il était dans ce doute, Hégésippe arriva si proche de lui, qu’il ne put s’empêcher de le reconnaître et de l’embrasser. Est-ce donc vous, dit-il, mon cher et ancien ami ? quel hasard, quelle tempête vous a jeté sur ce rivage ? pourquoi avez-vous abandonné l’île de Crète ? est-ce une disgrâce semblable à la mienne qui vous a arraché à notre patrie ?

Hégésippe lui répondit : Ce n’est point une disgrâce, au contraire, c’est la faveur des dieux qui me mène ici. Aussitôt il lui raconta la longue tyrannie de Protésilas ; ses intrigues avec Timocrate ; les malheurs où ils avaient précipité Idoménée ; la chute de ce prince ; sa fuite sur les côtes d’Italie ; la fondation de Salente ; l’arrivée de Mentor et de Télémaque ; les sages maximes dont Mentor avait rempli l’esprit du roi ; et la disgrâce des deux traîtres. Il ajouta qu’il les avait menés à Samos, pour y souffrir l’exil qu’ils avaient fait souffrir à Philoclès ; et il finit en lui disant qu’il avait ordre de le conduire à Salente, où le roi, qui connaissait son innocence, voulait lui confier ses affaires, et le combler de biens.

Voyez-vous, lui répondit Philoclès, cette grotte, plus propre à cacher les bêtes sauvages qu’à être habitée par des hommes ? j’y ai goûté depuis tant d’années plus de douceur et de repos que dans les palais dorés de l’île de Crète. Les hommes ne me trompent plus ; car je ne vois plus les hommes, je n’entends plus leurs discours flatteurs et empoisonnés : je n’ai plus besoin d’eux ; mes mains, endurcies au travail, me donnent facilement la nourriture simple qui m’est nécessaire : il ne me faut, comme vous voyez, qu’une légère étoffe pour me couvrir. N’ayant