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TÉLÉMAQUE.

était étonnée ; elle croyait sentir en lui quelque chose de divin ; mais elle ne pouvait démêler ses pensées confuses : ainsi elle demeurait pleine de crainte et de défiance à la vue de cet inconnu. Alors elle appréhenda de laisser voir son trouble. Continuez, dit-elle à Télémaque, et satisfaites ma curiosité. Télémaque reprit ainsi :

Nous eûmes assez longtemps un vent favorable pour aller en Sicile ; mais ensuite une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, et nous fûmes enveloppés dans une profonde nuit. À la lueur des éclairs, nous aperçûmes d’autres vaisseaux exposés au même péril ; et nous reconnûmes bientôt que c’étaient les vaisseaux d’Énée : ils n’étaient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l’ardeur d’une jeunesse imprudente m’avait empêché de considérer attentivement. Mentor parut, dans ce danger, non-seulement ferme et intrépide, mais encore plus gai qu’à l’ordinaire : c’était lui qui m’encourageait ; je sentais qu’il m’inspirait une force invincible. Il donnait tranquillement tous les ordres, pendant que le pilote était troublé. Je lui disais : Mon cher Mentor, pourquoi ai-je refusé de suivre vos conseils ? Ne suis-je pas malheureux d’avoir voulu me croire moi-même, dans un âge où l’on n’a ni prévoyance de l’avenir, ni expérience du passé, ni modération pour ménager le présent ? Oh ! si jamais nous échappons de cette tempête, je me défierai de moi-même comme de mon plus dangereux ennemi : c’est vous, Mentor, que je croirai toujours.

Mentor, en souriant, me répondait : Je n’ai garde de vous reprocher la faute que vous avez faite ; il suffit que vous la sentiez, et qu’elle vous serve à être une autre fois plus modéré dans vos désirs. Mais, quand le péril sera