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LIVRE x.

conduire à la vertu, ne s’en faire jamais aimer, les pousser par la terreur jusqu’au désespoir, les mettre dans l’affreuse nécessité, ou de ne pouvoir jamais respirer librement ou de secouer le joug de votre tyrannique domination ; est-ce là le vrai moyen de régner sans trouble ? Est-ce là le vrai chemin qui mène à la gloire ?

Souvenez-vous que les pays où la domination du souverain est plus absolue sont ceux où les souverains sont moins puissants. Ils prennent, ils ruinent tout, ils possèdent seuls tout l’État ; mais aussi tout l’État languit ; les campagnes sont en friche, et presque désertes ; les villes diminuent chaque jour ; le commerce tarit. Le roi, qui ne peut être roi tout seul, et qui n’est grand que par ses peuples, s’anéantit lui-même peu à peu par l’anéantissement des peuples dont il tire ses richesses et sa puissance. Son État s’épuise d’argent et d’hommes : cette dernière perte est la plus grande et la plus irréparable. Son pouvoir absolu fait autant d’esclaves qu’il a de sujets. On le flatte, on fait semblant de l’adorer, on tremble au moindre de ses regards ; mais attendez la moindre révolution : cette puissance monstrueuse, poussée jusqu’à un excès trop violent, ne saurait durer ; elle n’a aucune ressource dans le cœur des peuples ; elle a lassé et irrité tous les corps de l’État ; elle contraint tous les membres de ce corps de soupirer après un changement. Au premier coup qu’on lui porte, l’idole se renverse, se brise, et est foulée aux pieds. Le mépris, la haine, le ressentiment, la défiance, en un mot toutes les passions se réunissent contre une autorité si odieuse. Le roi, qui, dans sa vaine prospérité, ne trouvait pas un seul homme assez hardi pour lui dire la vérité, ne trouvera, dans son malheur, aucun homme qui daigne ni l’excuser, ni le défendre contre ses ennemis.

Après ces discours, Idoménée, persuadé par Mentor, se