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TÉLÉMAQUE.

hautes places, où les moindres choses ont de grandes conséquences, et où les plus légères fautes ont de violents contre-coups. Le monde entier est occupé à observer un seul homme à toute heure, et à le juger en toute rigueur. Ceux qui le jugent n’ont aucune expérience de l’état où il est. Ils n’en sentent point les difficultés, et ils ne veulent plus qu’il soit homme, tant ils exigent de perfection de lui. Un roi y quelque bon et sage qu’il soit, est encore homme. Son esprit a des bornes, et sa vertu en a aussi. Il a de l’humeur, des passions, des habitudes, dont il n’est pas tout à fait le maître. Il est obsédé par des gens intéressés et artificieux ; il ne trouve point les secours qu’il cherche. Il tombe chaque jour dans quelque mécompte, tantôt par ses passions, et tantôt par celles de ses ministres. À peine a-t-il réparé une faute, qu’il retombe dans une autre. Telle est la condition des rois les plus éclairés et les plus vertueux.

Les plus longs et les meilleurs règnes sont trop courts et trop imparfaits, pour réparer à la fin ce qu’on a gâté, sans le vouloir, dans les commencements. La royauté porte avec elle toutes ces misères : l’impuissance humaine succombe sous un fardeau si accablant. Il faut plaindre les rois, et les excuser. Ne sont-ils pas à plaindre d’avoir à gouverner tant d’hommes, dont les besoins sont infinis, et qui donnent tant de peines à ceux qui veulent les bien gouverner ? Pour parler franchement, les hommes sont fort à plaindre d’avoir à être gouvernés par un roi, qui n’est qu’homme semblable à eux ; car il faudrait les dieux pour redresser les hommes. Mais les rois ne sont pas moins à plaindre, n’étant qu’hommes, c’est-à-dire faibles et imparfaits, d’avoir à gouverner cette multitude Innombrable d’hommes corrompus et trompeurs.