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LIVRE vi.

Télémaque en fut saisi d’horreur. Elle le comprit, car qu’est-ce que l’amour jaloux ne devine pas ? et l’horreur de Télémaque redoubla les transports de la déesse. Semblable à une Bacchante qui remplit l’air de ses hurlements et qui en fait retentir les hautes montagnes de Thrace, elle court au travers des bois avec un dard en main, appelant toutes ses nymphes et menaçant de percer toutes celles qui ne la suivront pas. Elles courent en foule, effrayées de cette menace. Eucharis même s’avance les larmes aux yeux, et regardant de loin Télémaque, à qui elle n’osait plus parler. La déesse frémit en la voyant auprès d’elle ; et, loin de s’apaiser par la soumission de cette nymphe, elle ressent une nouvelle fureur, voyant que l’affliction augmente la beauté d’Eucharis.

Cependant Télémaque était demeuré seul avec Mentor. Il embrasse ses genoux (car il n’osait l’embrasser autrement, ni le regarder) ; il verse un torrent de larmes ; il veut parler, la voix lui manque ; les paroles lui manquent encore davantage : il ne sait ni ce qu’il doit faire, ni ce qu’il fait, ni ce qu’il veut. Enfin il s’écrie : Ô mon vrai père ! ô Mentor ! délivrez-moi de tant de maux ! Je ne puis ni vous abandonner, ni vous suivre. Délivrez-moi de tant de maux, délivrez-moi de moi-même ; donnez-moi la mort.

Mentor l’embrasse, le console, l’encourage, lui apprend à se supporter lui-même, sans flatter sa passion, et lui dit : Fils du sage Ulysse, que les dieux ont tant aimé, et qu’ils aiment encore, c’est par un effet de leur amour que vous souffrez des maux si horribles. Celui qui n’a point senti sa faiblesse, et la violence de ses passions, n’est point encore sage ; car il ne se connaît point encore, et ne sait point se défier de soi. Les dieux vous ont conduit comme par la