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LIVRE vi.

Calypso aperçut de loin le vaisseau achevé : ses yeux se couvrirent à l’instant d’un épais nuage, semblable à celui de la mort. Ses genoux tremblants se dérobaient sous elle : une froide sueur courut par tous les membres de son corps : elle fut contrainte de s’appuyer sur les nymphes qui l’environnaient ; et Eucharis lui tendant la main pour la soutenir, elle la repoussa en jetant sur elle un regard terrible.

Télémaque, qui vit ce vaisseau, mais qui ne vit point Mentor, parce qu’il s’était déjà retiré, ayant uni son travail, demanda à la déesse à qui était ce vaisseau, et à quoi on le destinait. D’abord elle ne put répondre ; mais enfin elle dit : C’est pour renvoyer Mentor que je l’ai fait faire ; vous ne serez plus embarrassé par cet ami sévère, qui s’oppose à votre bonheur, et qui serait jaloux si vous deveniez immortel.

Mentor m’abandonne ! c’est fait de moi ! s’écria Télémaque. Ô Eucharis, si Mentor me quitte, je n’ai plus que vous. Ces paroles lui échappèrent dans le transport de sa passion. Il vit le tort qu’il avait eu en les disant, mais il n’avait pas été libre de penser au sens de ses paroles. Toute la troupe étonnée demeura dans le silence. Eucharis, rougissant et baissant les yeux, demeurait derrière tout interdite, sans oser se montrer. Mais pendant que la honte était sur son visage, la joie était au fond de son cœur. Télémaque ne se comprenait plus lui-même, et ne pouvait croire qu’il eût parlé si indiscrètement. Ce qu’il avait fait lui paraissait comme un songe, mais un songe dont il demeurait confus et troublé.

Calypso, plus furieuse qu’une lionne à qui on a enlevé ses petits, courait au travers de la forêt, sans suivre aucun chemin, et ne sachant où elle allait. Enfin, elle se trouva à l’entrée de sa grotte, où Mentor l’attendait. Sor-