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LIVRE vi.

venger du mépris que vous avez témoigné pour le culte qu’on lui rend à Cythère : il a blessé le cœur de la déesse Calypso ; elle est passionnée pour vous : il a brûlé toutes les nymphes qui l’environnent ; vous brûlez vous-même, ô malheureux jeune homme, presque sans le savoir.

Télémaque interrompait souvent Mentor, en lui disant : Pourquoi ne demeurerions-nous pas dans cette île ? Ulysse ne vit plus ; il doit être depuis longtemps enseveli dans les ondes : Pénélope, ne voyant revenir ni lui ni moi, n’aura pu résister à tant de prétendants : son père Icare l’aura contrainte d’accepter un nouvel époux. Retournerai-je à Ithaque pour la voir engagée dans de nouveaux liens, manquant à la foi qu’elle avait donnée à mon père ! Les Ithaciens ont oublié Ulysse. Nous ne pourrions y retourner que pour chercher une mort assurée, puisque les amants de Pénélope ont occupé toutes les avenues du port, pour mieux assurer notre perte à notre retour.

Mentor répondait : Voilà l’effet d’une aveugle passion. On cherche avec subtilité toutes les raisons qui la favorisent, on se détourne de peur de voir toutes celles qui la condamnent. On n’est plus ingénieux que pour se tromper, et pour étouffer ses remords. Avez-vous oublié tout ce que les dieux ont fait pour vous ramener dans votre patrie ? Comment êtes-vous sorti de la Sicile ? Les malheurs que vous avez éprouvés en Égypte ne se sont-ils pas tournés tout à coup en prospérités ? Quelle main inconnue vous a enlevé à tous les dangers qui menaçaient votre tête dans la ville de Tyr ? Après tant de merveilles, ignorez-vous encore ce que les destinées vous ont préparé ? Mais que dis-je ? vous en êtes indigne. Pour moi, je pars, et je saurai bien sortir de cette île. Lâche fils d’un père si sage et si généreux, menez ici une vie molle et sans hon-