Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
LIVRE v.

sement : c’est un vieillard assez vigoureux. J’ai demandé quel homme c’était ; on m’a répondu qu’il s’appelait Aristodème. Ensuite j’ai entendu qu’on lui disait que ses deux enfants étaient au nombre de ceux qui combattaient ; il a paru n’en avoir aucune joie : il a dit que pour l’un il ne lui souhaitait pas les périls de la royauté, et qu’il aimait trop la patrie pour consentir que l’autre régnât jamais. Par là j’ai compris que ce père aimait d’un amour raisonnable l’un de ses enfants qui a de la vertu, et qu’il ne flattait point l’autre dans ses dérèglements. Ma curiosité augmentant, j’ai demandé quelle a été la vie de ce vieillard. Un de vos citoyens m’a répondu : Il a longtemps porté les armes, et il est couvert de blessures ; mais sa vertu sincère et ennemie de la flatterie l’avait rendu incommode à Idoménée. C’est ce qui empêcha ce roi de s’en servir dans le siège de Troie : il craignit un homme qui lui donnerait de sages conseils qu’il ne pourrait se résoudre à suivre ; il fut même jaloux de la gloire que cet homme ne manquerait pas d’acquérir bientôt ; il oublia tous ses services ; il le laissa ici, pauvre, méprisé des hommes grossiers et lâches qui n’estiment que les richesses, mais content dans sa pauvreté. Il vit gaiment dans un endroit écarté de l’île, où il cultive son champ de ses propres mains. Un de ses fils travaille avec lui ; ils s’aiment tendrement ; ils sont heureux. Par leur frugalité et par leur travail, ils se sont mis dans l’abondance des choses nécessaires à une vie simple. Le sage vieillard donne aux pauvres malades de son voisinage tout ce qui lui reste au delà de ses besoins et de ceux de son fils. Il fait travailler tous les jeunes gens ; il les exhorte, il les instruit ; il juge tous les différends de son voisinage ; il est le père de toutes les familles. Le malheur de la sienne est d’avoir un second fils qui n’a