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PRÉFACE.

dans toute la réalité du vrai. Une Biographie universelle renfermant, non quelques illustrations guerrières, politiques, oratoires, mais tout ce qui s’est rendu célèbre dans le crime comme dans la vertu, dans l’infamie comme dans la gloire, soit qu’il appartienne aux temps anciens ou aux temps modernes, aux étrangers ou aux nationaux, doit rejeter les particularités et n’admettre que les traits caractéristiques des physionomies.

Mais si la méthode de Plutarque ne peut plus être suivie, celle de Bayle le peut moins encore. Ce sceptique, précurseur d’un siècle d’incrédulité, semble ne s’occuper de Biographie que pour trouver texte à des discussions de doctrine. Ennemi tantôt secret, tantôt déclaré des saines croyances religieuses, il exhume et réchauffe avec complaisance les théories les plus condamnables des philosophes et des sectaires ; il les éclaire souvent d’une lumière qu’elles n’avaient pas, il les étaye de leurs anciens arguments rajeunis, ou de nouveaux sophismes qu’il crée pour le besoin des plus tristes causes ; tantôt il sape par leurs bases les principes de la morale et de la foi ; tantôt il les ébranle par cette logique à deux tranchants qu’il manie avec une déplorable habileté. Son livre a été l’immense arsenal où les démolisseurs du xviiie siècle ont puisé leurs armes les plus dangereuses. Bayle est le père de Voltaire ; il lui a transmis comme héritage son érudition et sa dialectique, et l’on sait quel funeste parti l’esprit sarcastique de Voltaire sut en tirer.

La Biographie n’exclut pas moins les discussions que les détails superflus. Une Biographie universelle, qui offrirait, comme l’ouvrage de Bayle, un débat philosophique à propos de chaque nom qui peut y prêter, serait interminable. Ces dialogues entre le pour et le contre, sur chaque point de doctrine attaqué ou défendu par les penseurs de tous les temps et de tous les pays, ne tiendraient pas dans des milliers de volumes. La substance de toute Biographie ce sont les faits, et l’art difficile de les présenter est l’unique condition de succès.

Sous tous ces rapports, l’abbé de Feller n’a aucun rival. Sans se perdre dans des détails oiseux, comme sans mutiler aucune des vies qu’il retrace, il sait exposer sous leurs véritables points de vue, non-seulement les caractères des personnages, mais leurs doctrines et leurs actes, et il le fait de manière à n’offrir à l’approbation de ses lecteurs que ce qui est noble et vrai, flétrissant en peu de mets, et quelquefois seulement par la façon dont il le présente, tout ce qui est faux et blâmable. Entièrement dévoué à la foi catholique, dont il se montra toute sa vie l’un des plus zélés défenseurs, il fait habilement servir son immense érudition au triomphe des doctrines religieuses et morales. Son livre n’est pas seulement le tableau général de toutes les célébrités humaines, c’est la peinture du bien et du vrai, du mal et de Terreur sous les couleurs qui leur conviennent ; c’est en quelque sorte l’antidote de l’ouvrage de Bayle et de celui des encyclopédistes. Témoin des coups redoublés que la philosophie du jour portait à la foi, il consacra son rare talent à parer ses coups et à réfuter les objections des impies.

Ces précieuses qualités recommandent puissamment l’ouvrage de Feller, et lui donnent un mérite supérieur ; mais le succès qu’il a constamment obtenu en dit plus que tous les éloges ; une édition est à peine faite qu’il faut la remplacer par une autre qui est bientôt aussi rapidement écoulée.