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À Travers l’Inde en Automobile


GAYA, 3 SEPTEMBRE.


Dans ce dak bungalow que nous partageons avec un officier de police en tournée de surveillance, une souffrance inconnue jusqu’à présent s’ajoute à l’incommodité du campement : les moustiques nous dévorent. Dans aucune partie de la péninsule, ces insectes ne sont aussi furieusement voraces et malins que dans le jungle Bengali. Ils ont du reste, une réputation d’habileté dûment établie. Généralement, la brise bien factice des « punkas » suffit à disperser leur légère cohorte, mais ici, avec une prudence et des ruses inouïes, ils s’accrochent aux volants d’étoffe et paraissent mollement assoupis, bercés par le mouvement de pendule de l’éventail. Durant les chaudes heures de la sieste, je les suis de mes yeux alourdis de sommeil ; lorsque le punka, dans sa course est prêt d’arriver à l’extrémité la plus éloignée de mon visage, ils s’élancent avec un bourdonnement triomphal et m’assiègent ; avant qu’un coup de vent ait pu les chasser, ils ont repris leur poste d’agression sur les planches ballotantes. Ils sont odieux et leur importunité associée au chant monotone et douloureux du corbeau des jungles, enlève tout repos aux courtes heures tièdes de la nuit. Parfois le coolie, tout en tirant la corde du punka, s’endort ; vaguement, à travers une natte de jutte, j’aperçois sa mince forme noire assise dans la véranda, sa tête s’incline, il croise les bras, passe le cordon entre ses orteils et s’apprête à sommeiller, persuadé que je ne m’en apercevrai pas. Mais le moindre ralentissement dans cette insuffisante fraîcheur est vite appréciable, aussi je rassemble toutes mes notions de langue Bengali pour l’inciter poliment d’abord, à activer le mouvement. Il fait le mort. Après la phase des injures, il grogne sourdement, s’apostrophe à mi-voix et reprend du cœur à l’ouvrage. Quelquefois son entêtement me force à recourir aux moyens extrêmes : les menaces et les projectiles. Une paire de chaussures lancées aussi habilement que possible à la poitrine ou à la main a toujours raison de son obstination.

Les premiers temps de séjour aux Indes, cet emploi de la force brutale (vis-à-vis des indigènes) paraît singulièrement cruel, inhumain, souverainement injuste, lâche même. L’on blâme les Anglais et on s’étonne de la patience, de la soumission des malheureux noirs qui les servent. Après quelque commerce avec les castes infimes qui, seules, consentent à former la domesticité des Européens, on regrette que Dieu leur ait accordé la parole pour les distinguer des animaux, il est impossible de trouver des