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À Travers l’Inde en Automobile


GODOGARI, 3 JUIN.


Au « Rest House » de Godogari, chétive maisonnette au toit de chaume, nous attendons le bateau qui doit nous transporter, par le Gange, à Patna. Le fleuve sacré coule lentement entre des rives de sable, ses flots sans remous roulent paresseusement, afin que bercés par leur mouvement tranquille, les morts ensevelis dans ses eaux limoneuses flottent en paix jusqu’à la réincarnation.

L’embarcadère, assez éloigné du village, serait impossible à atteindre par le sentier de halage qui longe le « grand fleuve », mais grâce à l’amabilité d’un Brahme qui veut bien nous servir de guide, nous arrivons, par un considérable détour à travers des bois de bambous et des champs de roseaux, à Sultan-Gang, où s’arrêtent les petits steamers qui trafiquent entre les différents villages riverains. Le jour finit et dans le crépuscule les sables roux se confondent avec la ligne pâle du Gange. Le Wren est à l’ancre. Sur une simple planche posée entre le bastingage et la berge, des noirs en longues files trottent silencieusement, déchargeant des ballots de jute, des peaux de chèvres grossièrement tanées, des caisses de liqueurs, des cotonnades ; ils embarquent, en échange, des milliers de bananes et de mangues, enfermées dans des paniers ronds, qu’ils portent sur la tête et jettent pêle-mêle dans la cale. L’équipage indigène, composé d’un capitaine musulman et de dix hommes est descendu à terre pour examiner plus commodément la machine. Ils approchent curieusement, tâtent d’un doigt craintif les ailes, le radiateur. Philippe leur semble compliqué et dangereux. Lorsqu’ils comprennent que nous désirons nous installer à bord avec cette voiture magique, ils sourient d’une façon incrédule ; il faut toute l’autorité du clerc, distributeur de billets et agent de la compagnie, pour leur persuader de faire arranger une passerelle solide, capable de supporter le poids de la machine. La population des quelques huttes disséminées sur les pentes brûlantes, se tient toute prête à apporter son concours aux coolies. Après beaucoup de tiraillements et de bruyantes exclamations, l’auto glisse dans l’entrepont. On l’y cale avec de gros sacs de maïs. Les passagers ont quitté le bateau pour dîner. Assis par groupe de castes, ils creusent des trous dans le sol pour faire leur feu. Les uns attisent les brasiers, trient les graines pour le currie : quelques-uns marchandent des fruits ou de petits poissons, d’autres fument silencieusement. L’un d’eux, solitaire, entouré de ses inévitables ustensiles de cuivre, semble plongé dans une rêverie mélancolique et mâche du bétel. Des enfants nus courent et crient de tous côtés ; une femme, drapée de blanc, parcourt les groupes, sa cruche de terre sur la tête, offrant de l’eau potable et